Billet de blog 18 mai 2018

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Cannes 2018 : «Cassandro the exotico!» de Marie Losier

Cassandro est une star de la lucha libre, luttant à visage découvert et revendiquant son homosexualité dans un milieu traditionnellement machiste.

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Film programmé au sein de la sélection de l'ACID lors du festival de Cannes 2018

La lucha libre est un sport populaire national au Mexique où l'ordre du monde est mis en scène dans une confrontation manichéiste assumée du Bien contre le Mal. Cet intérêt s'est enraciné depuis plus de trois quarts de siècle, notamment avec le succès des séries B où des héros du ring devenaient des superhéros du grand écran tels que El Santo, Blue Demon, etc. La virilité y était exacerbée comme modèle masculin dominant. L'apparition des « exoticos » consistait alors pour des hétérosexuels à surjouer derrière l'anonymat de leur masque l'identité homosexuelle souvent à des finalités clairement homophobes. Dans ce contexte, les choix d'apparitions sur le ring de Cassandro constitue un courageux acte de revendication LGBT pour la diversité des sensibilités humaines à mettre en scène la chorégraphie d'un corps dont les limites sont sans cesse exposées. Devant la caméra 16 mm de Marie Losier, Cassandro reste Cassandro, cette grande figure de la lucha libre, qui expose fièrement son brushing sur le ring tout en esquivant les coups de son adversaire pour mieux contre-attaquer. Le choix de cette caméra semi-professionnelle renouant avec l'ère argentique crée une atmosphère particulière propre à la nostalgie et au film de famille. Cette petite caméra portée directement par la réalisatrice elle-même crée une grande intimité avec le personnage éponyme de ce film, à tel point qu'il est aisé de sentir l'intimité qui émerge peu à peu au fond d'un Cassandro assurant la mise en scène de son propre personnage. Car derrière cette figure inédite, atypique, se trouve le cheminement d'un individu pour trouver sa place dans la société, luttant constamment contre l'ostracisation de la pensée dominante à l'égard de pulsions de vie si violemment marginalisées. Marie Losier réussit avec son dispositif cinématographique, sa sensibilité, sa conscience humaniste de l'autre à réaliser un portrait qui respecte les personnages qu'un individu souhaite jouer pour mieux livrer cette subtile part intime intérieure. Jamais la réalisation de Marie Losier ne passe en force ses idées. Bien au contraire, c'est allant simplement mais avec une grande intelligence humaine à la rencontre de Cassandro, qui vit dans l'agglomération d'El Paso / Juaréz, à cheval sur deux pays antagonistes à l'exercice politique crapuleux, qu'elle livre un film politique. Qu'il s'agisse de la présidence Trump ou de la confiscation séculaire du pouvoir par un parti unique aux pratiques peu citoyennes au Mexique, le personnage traverse la mythologie des deux pays dans une zone transfrontalière soumise aux plus grand taux d'homicides volontaires dans le pays voire dans le monde. La cinéaste Marie Losier, qui a vécu et fait ses études en France, qui vit à New York où elle a réalisé la plupart de ses films et qui s'en va suivre Cassandro dans son quotidien au Mexique, est elle-même une ample et riche figure de la transculturalité. On peut ainsi dès lors dans son film voir émerger au second plan un autoportrait, assumant et partageant avec le spectateur cette opportunité de se reconnaître dans la mise en scène de l'autre. Paradoxalement, passé le prétendu apparat de l'exotisme, c'est aussi le rapport de chacun à sa mythologie, à son corps, à ses limites individuelles que le film propose de sentir et penser. Si ce miracle cinématographique s'est produit, c'est qu'il vient aussi de ce choix de mise en scène subtil où le spectateur est invité à vivre un film de famille.

Illustration 1


Cassandro the exotico !
de Marie Losier
Documentaire
73 minutes. France, 2018.
Couleur
Langue originale : espagnol
Scénario : Marie Losier et Antoine Barraud
Images : Marie Losier
Montage : Ael Dallier Vega
Son : Marie Losier et Gilles Benardeau
Directeur artistique : Simon Fravega
Production : Tamara Films Tamara Films (Carole Chassaing), Tu vas voir (Gérard Lacroix et Edgard Tenembaum)
Distributeur (France) : Urban Distribution

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