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Cédric Lépine : Comment as-tu travaillé avec ton équipe d'animation pour garder cette « mexicanité » à l'image à travers une équipe d'animation française ?
Natalia León : C'est vrai que c'était hyper important pour moi qu'on ressente le Mexique à travers les couleurs et à travers les images. Même si c'est une production française, pour moi c'est un film mexicain. J'ai eu la chance de pouvoir faire moi-même tout ce qui était l'identité visuelle du film et ainsi, j'ai créé les décors et les personnages. En tant que Mexicaine, je savais si les personnages et les lieux collaient à cette représentation du Mexique.
J'ai réalisé énormément de recherches car je devais analyser chaque photo dont je disposais pour me dire quels éléments je devais ajouter à mes décors ou aux vêtements de mes personnages. En revanche, toute l'animation et les mouvements des personnages, j'ai pu les confier à une équipe.
C. L. : Comment tu as travaillé là-dessus pour construire par exemple les décors du film ?
N. L. : J'ai conçu les décors à l'aide de Google Maps et des photos que j'avais prises quand je rentrais au Mexique. Une seule personne m'a aidée avec la colorisation des décors et j'en avais déjà fait quelques-uns donc elle avait déjà une palette à laquelle se référer.
Pour la voix, je voulais une actrice latino-américaine. J'ai pu avoir un échange intéressant avec elle en tenant compte de ses avis : nous avons ainsi testé plusieurs dialogues différents et c'était entre nous une vraie collaboration.
C. L. : Où est-ce que les voix et les bruits de la ville ont été enregistrés ?
N. L. : Les bruits dans le nord, je les ai enregistrés au Mexique quand j'y retournais, dès que je voulais. J'avais mon petit Tascam et je le prenais partout à l'époque pour avoir des bruits de la ville. Ensuite, les voix des personnages principaux, nous les avons enregistrées à Toulouse aussi. Sauf la voix de l'enfant parce qu'il a été très difficile en fait de trouver la voix d'un enfant avec un accent mexicain en France. Je voulais absolument que l'enfant ait un accent mexicain. Alors j'ai envoyé mon Tascam à ma mère qui habite là-bas. C'est elle qui a fait le casting et c'est elle qui a fait l'enregistrement que nous avons ajouté par la suite.
Pour les décors, mon frère m'a aidé aussi pour une partie dans la construction, parce que nous avons utilisé un logiciel 3D pour construire des volumes et après moi je suis venue dessiner sur les volumes 3D.
C. L. : Pourquoi avoir choisi l'animation pour traiter un sujet aussi difficile ?
N. L. : Le film raconte l'histoire d'Olivia, une jeune femme mexicaine qui vit à l'étranger et retourne dans sa ville natale dans l'espoir de reconnecter avec son passé. Pendant le voyage, elle se confronte à des souvenirs de son enfance, lorsque la marchande de glace qui travaillait à côté de chez elle a disparu.
Le film aborde donc le sujet des violences envers les femmes au Mexique, le féminicide et les disparitions. J'ai écrit l'histoire dans un premier temps, sans aucune limite visuelle : je n'avais pas encore projeté de technique. J'avais des images qui étaient très claires mais je ne savais pas si j'allais les faire en 2D, en stop motion ou en prise de vue réelle.
Je ne me suis pas limitée dans un premier temps car je voulais juste écrire sans encore envisager le film. J'avais alors besoin d'exprimer toutes ces choses que je ressentais et je ne savais pas quoi en faire. Dans un premier temps, je n'ai donc pensé ni au format, ni au style. Lorsque j'ai eu une version finalisée du scénario, j'ai imaginé des scènes fantastiques et assez complexes en prise de vue réelle. C'est à ce moment-là que je me suis penchée sur l'animation et je trouvais que ça faisait sens. Notamment pour les moments où il y a des changements de couleur. En fait l'animation est une technique qui me permettait d'aborder ces sujets d'une façon poétique.
C. L. : Quel est ton parcours dans l'animation ? As-tu suivi des études en ce sens ?
N. L. : Depuis que je suis petite, ce sont les arts plastiques et le dessin en particulier qui me passionnent, tandis que le cinéma est arrivé plus tard dans mon adolescence.
Quand je suis partie en France à 18 ans pour poursuivre mes études, les écoles de cinéma étaient beaucoup trop chères. J'ai donc passé le concours des arts décoratifs et c'est là que je me suis petit à petit orientée vers le cinéma d'animation. Como si la tierra se las hubiera tragado est ainsi mon film de fin d'études mais que je n'avais pas terminé au moment où j'ai reçu mon diplôme. Nous avons eu beaucoup de chance avec ce film parce que nous avons eu pas mal d'aides assez importantes et assez difficiles à obtenir. Avec mon producteur, nous ne nous sommes jamais retrouvés dans une situation financière qui nous ait demandé de chercher davantage de moyens de production. C'est pour ça que finalement que le film est une production française.
J'étais encore novice pour connaître des professionnel.les, j'ai donc fait confiance à mon producteur pour me proposer les membres de l'équipe de réalisation et nous avons choisi ensemble.
C. L. : Pour affronter l'horreur du féminicide, peux-tu parlé du choix de mettre à distance les événements traumatiques ?
N. L. : Par rapport à la violence des images, c'est vrai qu'il y a quelque chose d'un petit peu éthéré. C'est vrai que je ne voulais pas, par exemple, montrer un corps mort avec des blessures qui soient réelles. C'est pour ça que la scène fantastique, même si elle reste très violente, montre une violence qui n'existe pas, en tout cas de cette façon graphique, dans notre monde réel. Cette pénétration de plein de mains dans le corps à l'intérieur et à l'extérieur, c'est quelque chose qui n'est pas réel.
Je trouvais que c'était une bonne métaphore par rapport au viol. C'est vrai que je me suis questionnée sur le fait de montrer ou non cette scène. Comme je dénonce ces événements terribles, quelque part, mon personnage principal, qui les a vécus quand elle était enfant, ne les comprenait pas. Arrivée à l'âge adulte, elle se questionne toujours : qu'est-ce qui lui est arrivé ? Maintenant, même si elle ne sait pas exactement ce qui lui est arrivé, elle comprend. En fait, je trouvais que cette scène était quand même importante pour qu'on comprenne que oui, elle ne s'est pas échappée avec son petit ami : elle s'est fait kidnapper, violer et tuer. Je trouve que la violence arrive encore plus avec le sac poubelle. Parce que là ? je ne le montre pas : le sac poubelle n'est pas transparent. Aussi, on peut s'imaginer les horreurs qui se trouvent à l'intérieur.

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C. L. : Le fait de travailler en France, est-ce que tu as senti cette contrainte de davantage expliquer le contexte sociologique mexicain à un potentiel public français ?
N. L. : C'est vrai que dans la recherche de financement, nous avons dû faire des dossiers et il fallait expliquer. Je l'ai écrit en tant que Mexicaine, en tant que personne qui est au courant de tout ce qu'il se passe. Nous avons travaillé avec Hélène Vayssières, directrice adjointe cinéma en charge des Programmes courts chez ARTE. Elle avait un regard extérieur d'une personne française et son retour a été très enrichissant. Parce qu'elle nous disait, ce qu'un public français n'allait pas comprendre. Il faut leur donner plus de clés pour qu'il comprenne exactement ce qu'il se passe. C'est pour cela que nous avons décidé d'ajouter un panneau à la fin, alors que moi, au début, je ne voulais pas.
Lorsque les gens me disaient qu'ils n'avaient aucune idée de ce qu'il se passait au Mexique, cela me rappelait l'importance de ce court-métrage.
C. L. : Est-ce que tu sens cette réappropriation autour de ton film, de ta propre voix, de ton propre regard, et de ton style de dessin ?
N. L. : Oui, absolument. Je pense que le film a évolué entre ce que moi j'avais écrit en tant qu'étudiante et ce qu'il est maintenant, mais pas énormément. Il n'a vraiment changé que sur certains détails. Et c'est ça qui était génial de travailler avec mon codirecteur, c'est qu'en fait, il aimait déjà beaucoup le projet tel qu'il était.
Je pense que le film est très authentique, et c'est cela qui est un peu difficile maintenant : du coup, j'ai l'impression de donner accès aux gens à une partie très intime de moi, parce que c'est un film très personnel, où j'exprime des choses qui me font énormément mal.
Quand j'ai fait les recherches pour le film, je voulais juste comprendre pourquoi ces choses arrivaient. C'est à partir de cette première recherche que j'ai développé énormément de peur, ce qui m'a menée à avoir j'ai besoin de l'exprimer. Or, quel est le moyen d'expression que je préfère ? Je me suis demandée de quel point de vue raconter. En fait, très rapidement, je me suis dit, il faut que je le raconte depuis mon point de vue.
J'ai la chance de ne connaître à ce jour aucune femme qui a disparu. Et pourtant, leur histoire me perturbe énormément. Et donc, c'est pour ça que j'ai choisi cette relation entre mes personnages, parce qu'Olivia ne connaissait pas vraiment la jolie jeune fille qu'elle a croisée dans son enfance.
Je me suis rendu compte que je racontais mon point de vue, c'est-à-dire celui des femmes qui sont encore là et la manière dont elles gèrent leurs émotions.
C. L. : Ton film est-il un moyen cathartique d'exorciser les peurs qui inondent tout un quotidien ?
N. L. : Oui, absolument. Pour moi, ce film, c'est un refus de m'habituer à cette peur ou de l'accepter. Mon intention n'est pas de faire peur au public. En revanche, je voulais partager mon sentiment d'anxiété parce que c'est vrai, même à Toulouse où je me promène, je vois des sacs de poubelle et je repense à toutes ces histoires. Et l'atrocité de leur dénouement. Je souhaite que le public puisse repenser à toutes ces femmes à qui ces choses-là sont arrivées. Nous n'accepterons pas ce régime de la terreur organisé par ce patriarcat tout autour de nous.
Como si la tierra se las hubiera tragado
de Natalia León
Animation
14 minutes. France, 2025.
Couleur et Noir & Blanc
Langue originale : espagnol
Avec les voix de : Carolina Zárate Wall (Olivia, enfant), Natalia León (Olivia, adulte), GAYA (la jolie jeune fille), Rebeca Magdely González Alfaro (la mère)
Scénario : Natalia León, inspiré de Agua de Lourdes : ser mujer en México de Karen Villeda
Storyboard et animatique : Natalia León
Layout : Natalia León, David Martin
Animation : Techin Chen, Juliette Godin, Kevin Faria, Natalia León, Aurore Peuffier
Décors : Natalia León, Noémi Gruner
Musique : Diego Ayala Raffalli
Son : Fanny Lamothe, Gadou Naudin
Production : Luc Camilli
Directrice de production : Zoé Chabry
Société de production : XBO Films
Avec la participation d'ARTE France
Distributeur (France) : Miyu Distribution
contact (distribution) :
Luce Grosjean
festival@miyu.fr
+33 984070441