Billet de blog 18 novembre 2014

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Rubén Mendoza, réalisateur du film De la terre sur la langue (Tierra en la lengua)

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Festival international du Film d’Amiens 2014 : De la terre sur la langue (Tierra en la lengua), de Rubén Mendoza

Don Silvio demande à deux de ses petits-enfants venus de la ville de mettre fin à ses jours. Ensemble, ils se rendent sur les grandes propriétés du patriarche, respecté et craint par ses employés, et qui ne perd aucune occasion pour se montrer odieux avec tous ceux qui l’entourent. Autour de ce portrait d’un homme haïssable, Rubén Mendoza évoque son propre grand-père, usant parfois de documents sonores et visuels proches du faux documentaire. Cette figure patriarcale convoque le passé violent de tout un pays en même temps qu’une histoire familiale très personnelle, dans un somptueux décor rural, primitif et apocalyptique, où la quiétude et la folie s’entrechoquent. Bouleversant les repères cinématographiques du récit, la figure centrale du patriarche est à la fois source de construction et de destruction.

Illustration 1
Rubén Mendoza © Laura Morsch Kihn

Cédric Lépine : Dans ton film, on voit un lien très fort avec le cinéma de Luis Ospina mêlant faux documentaire et vraie fiction : l’enregistrement audio du début du film est-il issu de tes propres archives ?

Rubén Mendoza : Non. C’est une construction utilisée pour le film seulement. Je pense qu’il y a de grands mensonges qui servent à dire de grandes vérités, comme l’a très bien illustré Luis Ospina dans Agarrando pueblo et Los Tigres de papel dont je fus également le monteur. Si l’on filme sa propre chambre, qu’est-ce qui est vrai dedans ? Parfois le documentaire peut être beaucoup plus chargé de fiction que la fiction elle-même et inversement. Pour moi seul ce qui importe est l’expression cinématographique en tant que telle.

Mon idée est qu’en utilisant des archives sonores j’apporte une part documentaire au film. De la même manière que l’on reconnaît toujours sa langue maternelle, on reste lié à la maison, à la terre, aux paysages de son enfance. Pour écrire mon film il suffit de faire sortir tout cela.

Le cinéma est une chose difficile mais il faut rester intègre, loin des tentations de la gloire et de l’argent. Mon film est d’une certaine manière une extension de certains membres de ma famille qui ont aujourd’hui disparu.

Juliette Janin : Peux-tu parler du thème de la terre qui est au cœur du film ?

Rubén Mendoza : La terre, c’est tout. Elle est au cœur du conflit dans lequel se trouve la Colombie depuis plusieurs décennies. La terre dans le film est très difficile à travailler et l’on peut y voir une métaphore du pays lui-même. À la campagne, une terre peut permettre de disposer de ressources menant à l’autosuffisance alimentaire. Le problème est que ceux qui ont du pouvoir et détiennent la terre, ne voient pas les choses ainsi puisqu’ils n’y voient que la valeur économique de celle-ci. Certains préfèrent conserver l’illusion que la terre appartient à ceux qui disposent des papiers de propriété plutôt qu’à ceux qui la travaillent avec leurs mains. La vérité est que nous nous retrouvons sur une terre que l’on nous a prêtés. Au-delà de la terre, le problème vient de cet amour excessif pour la possession. Les frontières sont également le fruit de grands mensonges qui ne sont là que pour asservir les travailleurs immigrants. Le problème de la terre se retrouve à travers le monde entier et concerne donc tout le monde.

Cédric Lépine : Est-ce que le personnage de Don Silvio représente une société et une époque qui sont en train de disparaître dans la Colombie actuelle ?

Rubén Mendoza : Il représente en effet la nostalgie pour une époque révolue qui fut terrible. Dans mon cas personnel, ce personnage interroge ma propre relation avec mon grand-père et l’héritage du monde qu’il me laisse. Derrière une figure patriarcale se cache beaucoup d’autres figures patriarcales. Le thème de la terre conduit à répéter des choses d’une époque antérieure sans que l’on s’en rende compte.

Cédric Lépine : Dans ton film, le personnage principal reste le grand-père alors que l’on sait peu de choses de ses petits-enfants, de leur vie privée, de leur engagement politique, etc.

Rubén Mendoza : C’est en effet ce qui se passe et c’est là un choix esthétique de ma part. Ainsi les cadrages de la caméra sont particuliers avec une image souvent au centre. J’aime beaucoup à cet égard le film de Victor Erice Le Songe de la lumière (El Sol del membrillo), où le peintre Antonio López répond à l’un de ses amis qui lui demande de placer l’arbre au centre de sa toile : « non, au centre il y a tout autre chose. » Quel est le centre des choses ? On retrouve cette idée dans le film et ce qui s’applique au type de cadre, s’applique à l’histoire elle-même, au son, à l’interprétation. Par exemple, pour le premier jour de tournage nous avons traité le passé de Silvio. Les petits enfants ne sont en effet pas au centre de l’histoire, c’est pour cela qu’ils ne sont pas autant développés. Ce que je souhaite montrer est toujours au centre.

Illustration 2

De la terre sur la langue

Tierra en la lengua

de Rubén Mendoza

Fiction

86 minutes. Colombie - France, 2014.

Couleur

Langue originale : espagnol

Avec : Jairo Salcedo (Don Silvio), Gabriel Mejía (Fernando), Alma Rodríguez (Luca), Richard Córdoba (le chef de la guérilla)

Scénario : Rubén Mendoza

Images : Juan Carlos Gil

Montage : Gustavo Vasco

Musique : Velandia

Son : César Salazar, Jean-Guy Veran, Isabel Torres

Décors : Oscar Navarro

Production : Día Fragma (Colombie)

Coproduction : Ciné Sud Promotion (France)

Producteur : Daniel García

Coproducteur : Thierry Lenouvel

Productrice exécutive : Maria Fernanda Barrientos

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