Face aux images projetées de films de sa famille, Rosario Ibarra de Piedra se remémore une époque heureuse avec son époux et ses enfants. Mais dans les années 1960 et 1970, alors que la répression étatique est entrée violemment sur la place publique avec le massacre des étudiants de la place de Tlatelolco à Mexico en 1968, le pouvoir monolithique en place n’a cessé de maintenir sa poigne de fer sur la population, en pourchassant inlassablement tout mouvement de contestation politique. Le parti communiste mexicain a dû se maintenir alors dans une semi clandestinité. Jesús Piedra Ibarra fut en 1973 accusé d’appartenir à un groupe armé d’orientation communiste « la Ligue communiste du 23 septembre ». Sa mère prit ouvertement la défense de son fils mais en 1974, après l’assassinat d’un policier, il est enlevé par les forces militaires, sans que ne soit révélé à son entourage le lieu de sa détention. Aucun jugement public n’est rendu et depuis lors sa famille n’a aucune nouvelle de lui. Dans son combat pour retrouver son fils, Rosario rencontre de nombreuses familles qui ont été également victimes de disparitions forcées. Le combat face à la « guerra sucia » menée de manière non officielle par son pays durant plusieurs décennies, l’a conduite à prendre diverses responsabilités politiques, créant en 1977 le Comité pour la défense des Prisonniers, des Persécutés, des Disparus et des Exilés politiques, également connu sous le nom Comité ¡ Eureka ! Elle participa à des campagnes de grève de la faim pour obtenir l’amnistie des prisonniers politiques, finalement obtenue en 1978. Mais les familles restèrent toujours sans nouvelles des disparus. La lutte de Rosario se poursuit sur la scène politique lorsqu’elle devient candidate à l’élection présidentielle au sein du Parti Révolutionnaire des Travailleurs. Elle fut députée dans les années 1980 puis sénatrice de 2006 à 2012, prenant parti contre les violences faites aux femmes au Chiapas, les cas de féminicides de Ciudad Juárez… de nombreux cas manifestes de violence d’État. Tant que la lumière ne sera pas faite sur ces années sombres de l’histoire mexicaine, l’impunité perdurera et causera de nouveaux crimes, car les forces représentant l’État et ceux qui les entourent se sentiront libre d’agir en toute impunité. Cette situation catastrophique revient sur le devant de la scène internationale avec la disparition des 43 étudiants mexicains le 26 septembre 2014 à Iguala dans l’État de Guerrero.
Sobrement intitulé Rosario, ce documentaire est un très bel hommage mené au fil de plusieurs décennies par Rosario Ibarra de Piedra pour défendre les droits fondamentaux et irrévocables de chaque être humain. La réalisatrice Shula Erenberg privilégie l’enregistrement de la parole de Rosario elle-même pour conter une histoire personnelle qui s’est retrouvée pleinement dans la scène publique par sa prise de conscience citoyenne pour l’application concrète de l’exercice d’un État de droit. Compte tenu de la corruption de notoriété publique qui règne au sein du monde politique au Mexique (et dans d’autres démocraties, pour ne pas citer l’exemple proche de la France), le portrait de Rosario offre à voir et penser une alternative positive à l’exercice du politique. Malgré le poids colossal de la violence d’État, ce documentaire est également un témoignage d’espoir pour continuer à construire une réelle démocratie où les idées et les droits inaliénables de chacun sont respectés.
Rosario
de Shula Erenberg
Documentaire
71 minutes. Mexique, 2013.
Couleur
Langue originale : espagnol
Scénario : Shula Erenberg, Natalia Bruschtein
Images : Carlos Rossini, Ernesto Pardo, Shula Erenberg, Marc Bellver Vera, Luis Damián
Musique : Matías Barberis, Rodrigo Garubay
Montage : Natalia Bruschtein
Son : Santiago Arroyo, Nerio Barberis, Shula Erenberg, Rayneir Hinojosa O’Farril
Production : Bias Producción, Fondo para la Producción Cinematográfica de Calidad (Foprocine)
Productrice : Shula Erenberg