Sortie nationale (France) du 8 avril 2015 : Loba, de Catherine Béchard
Quoi de plus communément partagé parmi les êtres vivants que la naissance et plus particulièrement l’accouchement ? Malgré tout, ce moment chargé d’émotions diverses, entre douleur, peur et bonheur extatique reste globalement marqué par une grande ignorance. Ainsi, il n’est qu’à voir le grand tabou que continue de soulever les questions enfantines « comment on fait les bébés ? », « comment naissent les bébés ? » Celles-ci sont pourtant incontournables autant pour celui qui la pose que celui qui doit y répondre, car dans les deux cas elles questionnent l’origine de l’un et de l’autre. L’usager de la salle de cinéma est inconsciemment un grand coutumier de l’accouchement, puisque fermé dans un lieu obscur, séparé du monde extérieur, en situation assise ou fœtale, il se nourrit du monde à travers une proposition cinématographique, avant de retrouver la lumière naturelle et renaître ainsi avec un nouveau regard sur le monde. Pourtant, peu de films se sont emparés de la naissance comme expérience cinégénique. Quant à l’accouchement naturel, dans les fictions au cinéma, il fait figure d’exotisme comme pour évoquer une culture lointaine ou une époque révolue. Il fallait bien un documentaire pour apporter un témoignage vivant et ouvrir un débat citoyen sur l’actualité de l’accouchement. Dans la lignée des luttes des femmes pour disposer de leur propre corps autour de la légalisation de la contraception, le droit d’accoucher autrement qu’en milieu hospitalisé est fondamental. En effet, la femme enceinte peut ainsi décider d’assumer complètement son droit à être mère comme elle le souhaite et comme elle le ressent. L’accouchement hospitalier présente le paradoxe d’exiger d’un couple d’être des parents, tout en les infantilisant. L’hôpital est devenu un lieu en France où l’on lutte davantage contre la mort que l’on s’efforce d’accompagner et de préserver la vie. Le documentaire de Catherine Béchard a parmi ses nombreux atouts le mérite de lever le voile sur un grand tabou que sont les violences physiques et psychologiques faites aux femmes par le corps médical au moment de l’accouchement. Ceci se généralise d’autant plus que les moyens financiers dévolus par l’État aux hôpitaux publics diminuent. La pratique mécanique et quasi automatique des épisiotomies et dans certains cas des césariennes est à dénoncer.
Catherine Béchard rencontre avec sa caméra des sages-femmes d’Espagne, du Mexique, de France et de Cuba pour recueillir leur témoignage. Il ne s’agit pas ici d’une investigation journalistique ou d’une étude sociologique sur un thème de société. La réalisatrice se confie davantage aux échanges humains qu’aux données statistiques. Il en résulte une saine invitation à la réflexion et à la prise de conscience sur la liberté de donner naissance, pernicieusement remise en cause en France en l’occurrence. Le sujet mérite d’autant plus d’entrer largement dans l’espace public qu’il divise profondément et entraîne de violents messages d’intolérances comme on peut le voir dans un article publié dans Le Monde où « accouchement naturel » est associé à de la « propagande ». Difficile d’aiguiser son regard critique sur un sujet passionnant soumis aux passions, touchant du doigt les peurs originelles de chacun, trop longtemps condamnées au silence. Pourtant, on ne pourra faire l’impasse sur la responsabilisation d’une société toute entière quant à sa manière d’accueillir la vie.
Loba
de Catherine Béchard
Documentaire
85 minutes. France - Espagne, 2015.
Couleur
Langues originales : espagnol, français, zapotèque
Scénario : Catherine Béchard, Laïa Manresa, Sergi Dies, d’après une idée originale de Catherine Béchard et Álvaro Vázquez Juárez
Images : Lila Fraysse
Montage : Sergi Dies
Musique : Lolo Callejo, interprétée par Lolo Callejo, Dani Katanga
et Ernesto González Oreña
Production : Piget Production, Aritz Compacto
Productrices : Catherine Béchard, Lila Fraysse
Production exécutive: Aritz Cirbián – Compacto
Production associée: Amic Bedel - Piget Films
Distributeur (France) : Iberi Films