Billet de blog 21 juillet 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Agustina Sánchez Gavier pour son film "Nuestra sombra"

Le court métrage "Nuestra sombra" d'Agustina Sánchez Gavier était en compétition fiction de la 37e édition du festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse, en présence de la réalisatrice.

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Illustration 1
Agustina Sánchez Gavier © DR

Cédric Lépine : Le titre Nuestra sombra (Notre ombre) évoque un endroit où il y a peu de lumière, où il est difficile de parler alors que le film est le témoignage d'un collectif de nombreuses personnes. Quel est le sens de ce titre pour vous ?
Agustina Sánchez Gavier :
Je pense que Nuestra invoque toute la communauté, implique tout le monde et, d'une certaine manière, nous rend responsables de cette ombre que l'on voit dans le film. Même si l'éclipse devient une sorte de métaphore de l'exploitation de la nature en arrière-plan du film, cette ombre qui se produit est une ombre que nous créons nous-mêmes, cette destruction que nous infligeons à la nature est la destruction que nous nous infligeons à nous-mêmes, c'est donc comme notre ombre. C'est ainsi que je le vois. Et cette ombre nous étonne également, car plus nous nuisons à la nature, plus nous nuisons à nous-mêmes.

C. L. : Une ombre plane aussi sur la division sociale, où les classes sociales ont beaucoup de difficultés à interagir entre elles.

A. S. G. : L'une des idées de départ était de parler de la déforestation des différentes classes sociales et de la façon dont chaque partie de la société vit la déforestation. Les personnes qui vivent dans la forêt, vivent de la même manière que ceux qui se trouvent de l'autre côté de la déforestation.

Le personnage de Camila travaille justement pour l'entreprise forestière, ce qui permet aussi d'aborder un peu cette idée que plus on est proche, moins on est conscient, peut-être parce que ceux qui vivent dans la forêt ont ces possibilités de petits boulots. Les ouvriers n'ont pas d'autre choix que de faire ce genre de travail et n'ont peut-être pas la possibilité de remettre cela en question. C'est un peu la contradiction dont souffre le personnage de Camila, car elle n'est pas d'accord avec son travail.

C. L. : Peut-on voir dans ton court métrage un portrait de ton pays à l'heure actuelle, tel que tu le vois aujourd'hui ?

A. S. G. : J'ai commencé à le réaliser en 2020, au début de la pandémie, et j'ai fini de le tourner en mai 2022, pratiquement deux ans plus tard. Ce projet n'a pas été affecté par la pandémie, mais par une série de malheurs que j'ai vécus dans ma vie privée et qui ont rendu le contexte de ce film très difficile à réaliser. Pour moi, c'est une sorte de miracle que ce film ait pu voir le jour, en partie parce que j'ai eu beaucoup de chance et parce que je me suis accrochée au film comme à une bouée de sauvetage : le film m'a en quelque sorte sauvée.

C'est pourquoi, quand il a été terminé et que j'ai appris la grande nouvelle de sa programmation au festival de Cannes, à la Quinzaine des Cinéastes, j'ai eu l'impression que la vie me souriait un peu. Bien sûr, je pense qu'il reflète une réalité qui, même si beaucoup de temps s'est écoulé, reste d'actualité, une réalité d'aujourd'hui. Il y a sans aucun doute beaucoup d'impunité, je ne vais pas dire seulement à Misiones, je pense que c'est le cas partout dans le monde.

L'une des images du film est purement documentaire, celle de l'arbre qui tombe : ce n'est pas un effet spécial, nous avons pu le filmer lors d'une coupe illégale. En effet, il est totalement interdit d'abattre tout type d'arbre indigène. C'est un arbre indigène de plus de 150 ans que des malfaiteurs ont abattu, mais comme toujours, au final, le malfaiteur trouve le moyen de faire ce qu'il veut. Je pense que c'est une réalité où, malheureusement, malgré toutes les lois qui ont été écrites pour protéger et préserver la forêt, il y a toujours des moyens d'entrer et de continuer à exploiter la nature. Peu importe les luttes, ils continuent à trouver le moyen et c'est ce qui est le plus triste.

Illustration 2
Nuestra sombre d'Agustina Sánchez Gavier © DR

C. L. : Ton film traite ainsi en filigrane les génocides perpétrés par l'Argentine à travers son histoire coloniale d'appropriation des terres au XIXe siècle.
A. S. G. :
Dans mon cas, je ne mets presque jamais l'intrigue comme épicentre du film : parfois l'axe est un peu plus décalé et je laisse davantage entrer les éléments atmosphériques. Pour moi, il y a beaucoup d'éléments qui font qu'un film puisse appartenir à tout le monde. Lorsque j'écris, je crée un espace pour le public, je laisse place à l'interprétation, car pour moi, il n'y a pas de réponse correcte. Je préfère la suggestion, j'utilise le son comme un élément très puissant.

C. L. : Je vois aussi ton film comme une œuvre très émouvante grâce à la puissance du cinéma qui permet de comprendre les choses par l'expérience. Comment vois-tu le fait de proposer une expérience cinématographique au public sans la rationalité de la voix pour comprendre ce qui s'est passé ?

A. S. G. : Mon intention était de créer une expérience et de ne pas être la seule à parler et à dire, mais justement de créer ce dialogue et de laisser place à l'interprétation du public. Cela me fascine d'entendre des choses que je n'avais peut-être pas écrites ou auxquelles je n'avais pas pensé. Écouter ce que chacun interprète est un réel ravissement. C'est comme créer une expérience commune et collective telle quelle, et toutes les interprétations sont valables.

Nuestra sombra
d'Agustina Sánchez Gavier
Fiction
19 minutes. Argentine, 2024.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Marcia Majcher (Camila), Liliana Ojeda (Maria), León Kallsten (Lucas)
Scénario : Agustina Sánchez Gavier
Images : Constanza Sandoval
Montage : Agustina Sánchez Gavier
Musique : Joel Jaffe
Son : Joel Jaffe
Décors : Lucas Koziarski

contact :
Academy of Media Arts Cologne (Allemagne)
Valerie-Malin Schmid
Benjamin Correa
Camila Acosta
Agustina Sánchez Gavier
+49 221 201890 
ute.dilger@khm.de 
https://en.khm.de 

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