Au cours de l'année 2015, environ 0,75% des entrées dans les salles de cinéma en France se sont faites au profit de films de production latino-américaine, alors que ces films représentent 4,46% des films distribués. Ceci se passe dans un contexte où la distribution des films se partagent majoritairement par nationalité de production entre la France (39%), les États-Unis (23%) et le reste du monde (39%) qui obtiennent les proportions suivantes en terme de fréquentation : 30%, 60% et 10%. Avec moins de films, les productions provenant des États-Unis concentrent la majorité des entrées en salles en France. C’est-à-dire que ce pays n’inonde plus comme avant le marché français, mais capture encore la majorité du public des salles.
Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Alors que dans les plus grands festivals internationaux les films latino-américains étaient en haut du palmarès, l’exploitation en France semble quelque peu frileuse. Ainsi, on passe de 33 longs métrages distribués en France en 2014 à 25 en 2015. Néanmoins, l’année a commencé de manière exceptionnelle avec la sortie très attendue des Nouveaux sauvages (Relatos salvajes) de Damián Szifron distribué par Warner sur 223 copies et totalisant 525 855 entrées, se classant définitivement en fin d’année comme la meilleure fréquentation salle. Derrière lui on trouve Une seconde mère (Que horas ela volta?) d’Anna Muylaert distribué par Memento Films sur 130 copies et accueillant 160 944 spectateurs en salles. Ceci constitue les deux plus notables succès du cinéma latino distribué en France en 2015. La très bonne surprise distribuée par Diaphana en fin d’année se nomme L’Étreinte du serpent (El Abrazo de la serpiente) de Ciro Guerra avec ses 94733 spectateurs et ses 46 copies en première semaine d’exploitation. C’est là un signe fort pour ceux qui douteraient encore qu’un film Noir & Blanc colombien puisse trouver son public. Le Bouton de nacre de Patricio Guzmán distribué par Pyramide sur 54 copies totalise 80690 spectateurs, témoignant de l’intérêt pour cet auteur à part entière qui signe un documentaire tout à fait personnel. Au-dessus de la barre des 50 000 spectateurs, on trouve Ixcanul de Jayro Bustamante (75 002 spectateurs) suivi du film d’animation Anina d’Alfredo Soderguit (51 173). Ce dernier résultat est d’autant plus surprenant que le réalisateur est inconnu du public, que le distributeur (Septième Factory) est une toute jeune société. Les choix de distribution au moment des vacances de la Toussaint auprès du jeune public tout en visant un public familial ont en quelques semaines seulement porté leurs fruits.
Parmi les autres films ayant totalisé plus de 30 000 entrées, trois autres longs métrages répondent à l’appel : El Club de Pablo Larraín distribué par Wild Bunch sur 54 copies (35 328 entrées), Gente de bien de Franco Lolli distribué par Ad Vitam sur 43 copies (33 739 entrées), Jauja de Lisandro Alonso distribué par Le Pacte sur 28 copies (32 443 entrées). Entre 20 000 et 10 000 spectateurs se succèdent Que viva Eisenstein! de Peter Greenaway distribué par Pyramide (61 copies, 19 134 entrées), Casa grande de Fellipe Barbosa distribué par Damned sur 16 copies a réuni 14 651 spectateurs, Manos sucias de Josef Wladyka distribué par Pretty Pictures (37 copies, 12 288 entrées), Chronic de Michel Franco distribué par Wild Bunch (61 copies, 10 978 entrées), Refugiado de Diego Lerman (10 413 spectateurs) distribué par Haut et Court sur 36 copies. Sous la barre des 10 000 entrées, se situent Allende mon grand-père de Marcía Tambutti Allende (19 copies, 9 037 entrées) et Los Hongos d’Oscar Ruiz Navia (8 939 spectateurs) distribué par Arizona Films sur 25 copies. Et pour finir la liste dans l’ordre décroissant du nombre de spectateurs (moins de 2 000) : Le Retour de Fabiola (La Jubilada) de Jairo Boisier, Les Dollars des sables (Dolares de arena) d’Israel Cardenas et Laura Amelia Guzman, Sigo siendo de Javier Corcuera, Sangre de mi sangre de Jérémie Reichenbach, Worms (Minhocas) d’Arthur Nunes et Paolo Conti, El Evangelio de la carne (Un octobre violet à Lima) d’Eduardo Mendoza de Echave et L'Homme des foules O Homem das multidoes). Les stratégies des distributeurs sont ainsi très distinctes de l’un à l’autre, notamment en ce qui concerne le nombre de copies en première semaine d’exploitation.
À l’exception de Warner Bros., la diffusion des longs métrages latinos qui ont bénéficié des meilleurs fréquentations a été prise en charge par des distributeurs « fidèles » à cette aire géographique : Pyramide, Ad Vitam, Memento Films et Le Pacte. En effet ceux-ci ont chaque année à leur catalogue un film latino et réussissent à réunir le plus grand nombre d’entrées : ainsi en 2014 Ad Vitam avait distribué Gloria de Sebastián Lelio (123 211 spectateurs), Pyramide Pelo malo, Les Drôles de poissons-chats (Los insolitos peces gatos) et Au premier regard (Hoje eu quero voltar sozinho), Le Pacte Heli. S’ils n’ont pas la « force de frappe » d’un distributeur comme Warner Bros. capable de placer plusieurs centaines de copies dès la première semaine d’exploitation de ses films, ces distributeurs ont su fidéliser un public et des salles de cinéma. Même si l’Amérique latine ne constitue qu’une partie de leurs films distribués à l’année, il faut néanmoins noter leur présence d’une année sur l’autre. Ainsi, en 2016, Ad Vitam sort Paulina de Santiago Mitre, Pyramide Eva ne dort pas de Pablo Aguëro et La Terre et l’ombre de Cesar Augusto Acevedo, Memento Films Un monstre à mille têtes de Rodrigo Plá.
À la différence de 2014, l’année 2015 a été marquée par moins de concentration de films en quelques distributeurs : chaque long métrage latino était entre les mains d’un distributeur distinct. De nouvelles compagnies sont même apparues : Sokol Films avec Ventos de agosto de Gabriel Mascaro, Tucuman Films avec Les Dollars des sables (Dolares de arena) d’Israel Cardenas et Laura Amelia Guzman, Septième Factory avec Anina d’Alfredo Soderguit.
On retrouve également des sociétés de distribution qui poursuivent leur intérêt pour le cinéma latino-américain : Bobine Films (El Evangelio de la carne de Eduardo Mendoza de Echave), ISKRA (Sangre de mi sangre de Jérémie Reichenbach), Haut et Court (Refugiado de Diego Lerman), Arizona Films (Los Hongos d’Oscar Ruiz Navia), Damned (Casa grande de Fellipe Barbosa), Pretty Pictures (Manos sucias de Josef Wladyka), Zootrope Films (Le Retour de Fabiola de Jairo Boisier), Wild Bunch Distribution (Chronic de Michel Franco).
En ce qui concerne les nationalités représentées parmi les films distribués, elles se répartissent ainsi dans l’ordre décroissant du nombre de films : Argentine (5), Colombie (4), Brésil (4), Chili (4), Pérou (2), Guatemala (1), République dominicaine (1), Uruguay (1), Mexique (1). La plus grande surprise se trouve du côté du Mexique dont l’importante production annuelle n’est guère reflétée par la distribution, même s’il est numériquement davantage présent à travers des coproductions : Que viva Eisenstein! de Peter Greenaway (Mexique, France, Belgique, Pays-Bas, Finlande), Chronic (Mexique, France), Allende mi abuelo Allende de Marcía Tambutti Allende (Chili, Mexique).
Une autre caractéristique des films latinos distribués en France est la prépondérance des films qui ont commencé à se faire connaître dans les festivals internationaux les plus médiatisés. Sur les 25 de l’année, 17 en sont issus : 7 sont passés par le festival de Cannes (Les Nouveaux sauvages, Gente de bien, Jauja, Refugiado, Chronic, Allende mon grand-père, L'Étreinte du serpent), 6 par Berlin (L'Homme des foules, El Club, Ixcanul, Une seconde mère, Le Bouton de nacre, Que viva Eisenstein!), 2 parLocarno (Los Hongos, Ventos de agosto), 1 par San Sebastián (Casa grande), 1 par Toronto (Les Dollars des sables). Ainsi, la totalité des films latino-américains peuvent bénéficier du label Art et Essai, pour la simple et bonne raison que les grosses productions de divertissement non labellisés « d’intérêt artistique » par un festival sont absentes des circuits de diffusion officielle dans les salles en France. On comprend dès lors le très grand rôle échu aux festivals pour faire reconnaître le cinéma latino-américain, surtout lorsqu’il passe par Cannes (les chiffres sont en effet à relativiser pour Berlin où le nombre de films sélectionnés est plus important qu’à Cannes). D’ailleurs, les distributeurs n’omettent jamais de mettre en avant le logo desdits festivals sur l’affiche du film lors de sa sortie. C’est également après un premier retour du public et de la critique au festival de Cannes, que certains distributeurs finissent par se décider d’acheter les droits des films pour les films programmés dans les sections parallèles (Quinzaine des Réalisateurs, Semaine de la Critique, ACID) alors que pour l’Officielle, les acquisitions se font bien plus en amont.
De même, on note une fidélisation à certains auteurs incontournables dont la diffusion des films est systématiquement assurée depuis leurs débuts en France : Lisandro Alonso, Diego Lerman, Pablo Larraín, Patricio Guzman, Michel Franco. Cela participe plus globalement à la « politique des auteurs » propre à la critique en France et qui fonctionne plutôt du côté du public. Cela n’empêche pas la présence notable de plusieurs premiers films, repérés ou non par des festivals : le désir de découverte est toujours présent du côté des professionnels comme du public, même si les risques économiques sont plus élevés.
Il y a 8 coproductions avec la France, ce qui montre également que la coproduction peut s’avérer probant afin de pouvoir envisager par la suite une distribution dans les salles françaises. Dans certains cas, le distributeur français a également participé à la coproduction du film.
La distribution d’un film nécessite de véritables choix stratégiques de la part de la société qui en a acquis les droits. En prenant le cas exemplaire du film Jauja, son distributeur Le Pacte a mis en place différents modes opératoires. Son plan de sortie s’est traduit par la présence du film dans 28 salles réparties en France dès la première semaine d’exploitation : 5 à Paris, 2 en périphérie parisienne et les autres à raison d’une copie par ville (Nantes, Rouen, Caen, Tours, Rennes, Orléans, Angers, Brest, Lille, Strasbourg, Nancy, Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, Dijon, Nice, Aix, Montpellier, Bordeaux, Toulouse, Pau). Le film fut classé GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche) et a majoritairement été présenté dans des salles indépendantes. Le visuel de l’affiche a été modifié entre celle choisie au moment du festival de Cannes et celle de sa sortie nationale, mettant en avant une critique élogieuse (Les Inrocks) et le nom de l’acteur Viggo Mortensen. La promotion du film était assurée grâce à l’achat d’espace sous forme de bande-annonce dans les salles de cinéma et sur une chaîne de télévision (Ciné +), de pages dans la presse spécialisée (Les Inrocks) et généraliste (Le Monde), de post-rolls sur un site spécialisé (Allociné), communication sur les réseaux sociaux (plus de 150 000 « j’aime » sur Facebook et plus de 24 000 sur Twitter), de partenariats sur une vingtaine de sites et des blogs (échange de visibilité, jeux-concours, articles), une avant-première au Centre Pompidou dans le cadre du Ciné-club Les Inrocks en présence du réalisateur Lisandro Alonso, articles de la presse spécialisée.
Retrouvez cet article en version espagnole sur le site dédié à l'industrie du cinéma latino-américain, LatAmcinema : https://issuu.com/latamcinema/docs/numero-17/1
Source pour les données statistiques de fréquentation : CBO Box Office : www.cbo-boxoffice.com
Un grand merci pour leurs informations précieuses à Laurent Coudurier (CBO Box Office), Thomas Pibarot et Jean Labadie (Le Pacte).