Billet de blog 22 mars 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Cinélatino 2025 : entretien avec Ana Endara, réalisatrice de "Querido trópico"

Après une première française en compétition à la 33e édition du festival Biarritz Amérique Latine, "Querido trópico" est en compétition au sein de la 37e édition de Cinélatino, Rencontres de Toulouse du 21 au 29 mars 2025.

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Cédric Lépine : Peux-tu expliquer le contexte économique et social qui oppose le Panama à la Colombie et qui est représenté autour des deux personnages ?

Ana Endara : Panama est sans aucun doute le pays le plus proche d’Amérique centrale mais avec la plus faible redistribution de ces richesses économiques. C’est une histoire d’aller et retour puisque le Panama a fait partie à un moment de son histoire de la Colombie. La forte migration colombienne au Panama remonte à plus de dix ans mais à présent cette migration n’est qu’une étape pour aller aux USA.

Les deux personnages principaux sont migrants mais chacune est issue d'une classe sociale distincte dont l’une est privilégiée.

C. L. : Le Panama avec le peu de films produits et diffusés représentant ce pays semble être une métaphore de cette maison au centre de l’intrigue qui est riche mais sans image.

A. Q. : J’avoue que nous avons filmé beaucoup de photographies mais nous ne les avons pas gardées au montage. Une séquence est pour moi très éloquente lorsque Mercedes demande à Ana María d’où elle vient en Colombie et qu’elle lui répond Cali alors que Mercedes ne connaît que Bogotá. Alors que Cali est associée à la pauvreté et aux conflits sociaux, la population riche panaméenne n'ira pas jamais découvrir cette ville.

Illustration 1
Querido trópico d'Ana Endara © DR

C. L. : La scène de la photographie de famille où Mercedes est forcée d'apparaître en excluant Ana María qui est pourtant la seule à partager son quotidien, met en scène un matriarcat autour de Mercedes qui n'a alors plus cours.

A. E. : Il a par le passé existé mais la maladie de Mercedes ne le permet plus. C'est à présent sa fille qui dirige la représentation familiale. Celle-ci en revanche ne peut pas vivre avec sa mère ni même lui partager son affection. Mercedes se rend compte que sa fille ne partage pas non plus son affection avec ses enfants. Ce sont les codes de sa classe sociale qui ne lui permettent pas de relation affective avec sa fille.

Au fil de mes rencontres avec le public, je me rends compte que celui-ci s'identifie dans 80 % environ des cas à Jimena et non pas à Mercedes ou Ana María parce que davantage de personnes se retrouvent plus dans la situation de Jimena. Voir sa mère se transformer sous les traits de l'indépendance d'un enfant ne va pas de soi et reste douloureux.

C. L. : Peux-tu parler de ce poids sur les femmes qui leur impose une certaine identité et notamment celui d'être mère comme on le voit dans le film ?

A. E. : Je sens que c'est un sujet que l'on retrouve beaucoup en Amérique latine où une femme n'est pas considérée complète si elle n'a pas d'enfants. Ainsi, on demande plus facilement à une femme qu'à un homme si elle a des enfants. Il existe aussi une pression sociale à ce que les enfants soient baptisés sans pour autant que la famille soit religieusement croyante. Au Panama, pays catholique où l'avortement n'est pas légal, la mort d'un enfant est vécue comme une punition divine et c'est ce que subit Ana María.

De son côté, Mercedes avoue au cours d'une scène que si elle n'avait pas eu d'enfants, après son divorce elle serait rentrée au Chili, son pays d'origine : c'est bien aussi son statut de mère qui lui a imposé un mode de vie.

C. L. : Le film sort des contraintes d'une représentation réaliste et documentaire de la représentation de Panama pour mieux se concentrer en un huis clos riche de symboles sur la réalité du pays en hors champ.

A. E. : En effet, je n'ai pas filmé les bâtiments officiels et les images répondant aux projections que l'on peut avoir de l'extérieur du pays. Cette décision était totalement consciente et pour être sincère, il s'agit de mon premier tournage de fiction et avec ma productrice nous souhaitions conserver l'énergie créatrice et intimiste d'une équipe réduite. Mon choix s'est ainsi porté sur un lieu principal de tournage et deux actrices principales. Pour cette exploration que je souhaitais mener dans ce film, ce contexte de tournage était pour moi l'idéal. J'ai reçu un témoignage touchant de personnes panaméennes vivant à Toronto qui m'ont remerciée de leur faire ressentir leur pays à travers la pluie, le jardin, etc. Panama peut se définir à travers plusieurs éléments au-delà d'une carte postale officielle. De même, cette histoire entre deux femmes étrangères rappelle que le pays est aussi un lieu de passage et que nous sommes une population construite sur la migration.

Illustration 2

Querido trópico
d'Ana Endara
Fiction
108 minutes. Panama, Colombie, 2024.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Jenny Navarrete (Ana María), Paulina García (Mercedes), Juliette Roy (Jimena), Syddia Ospina (Cristina), Mariusol Salazar (Yoana), Marie Claire de Bueno (une amie de Mercedes), Patrizia Pagan de Paganis (une amie de Mercedes), Michelle Hatch (une amie de Mercedes),
Scénario : Ana Endara, Pilar Moreno
Images : Nicolás Wong Díaz
Montage : Bertrand Conard
Chanson : Lo único que tengo de Victor Jara interprétée par Michelle Blades
1er assistant réalisateur : Felipe Zúñiga
Design sonore : Carlos E. García
Son : José Rommel Tuñón
Casting : Carlos « Fagüa » Medina, Natalia Imery Almario, Juan Said Isaac
Scripte : Edna Herrera
Coaching actoral : Kattia G. Zúñiga
Production : Isabella Gálvez Peñafiel, Joan Gómez Endara
Direction de production : Isabella Gálvez Peñafiel
Sociétés de production : Mente Pública, Big Sur Películas, Mansa Productora
Vente internationale : FiGa Films

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