Film sélectionné à Visions du Réel, Festival international de cinéma de Nyon du 21 au 30 avril 2023 : Taxibol de Tommaso Santambrogio
Si le cinéma est une histoire de rencontres qu'il s'agisse de personnes, de pays, d'époques et thématiques... le cinéaste italien Tommaso Santambrogio s'empare de cette force créatrice et multiplie ici les champs d'un espace aux multiples conversations, à commencer par un dialogue entre le cinéaste philippin Lav Diaz et le chauffeur de taxi Gustavo Freita, chacun dans son propre rôle. Ce qui pourrait ainsi apparaître comme un documentaire ne peut jamais s'y réduire exclusivement, qu'il s'agisse des dispositifs de mise en scène avec une caméra dans le taxi qui se positionne en champ contre champ propre à la fiction, et un propos qui part du réel et qui se permet une potentielle transgression.

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C'est autant avec la complicité avec le cinéaste Lav Diaz qu'avec les problématiques de l'île où Tommaso Santambrogio avait tourné son précédent court métrage Los Océanos son los verdadores continentes (2019) que Taxibol développe un récit inattendu en deux temps : le long préambule dans le taxi qui précède l'apparition du titre et le quotidien filmé dans le silence de l'exercice d'un pouvoir sans partage d'un homme âgé sur ses employé.es. Si la première partie invite le cinéma iranien d'Abbas Kiarostami et de Jafar Panahi avec l'idée de faire naître le récit d'un macrocosme politique plus large au sein du microcosme étroit de l'intérieur d'une voiture, la seconde partie est quant à elle dédiée à la mise en scène de Lav Diaz lui-même mais aussi de Chantal Akerman et de son cultissime Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) autour d'un quotidien fait de répétitions et d'autant d'asservissement plus ou moins consenti et maîtrisé en fonction des individus concernés.
De la confession d'un cinéaste exposant son besoin de traquer un génocidaire de la dictature aux Philippines après avoir établi un lien de compassion sur une histoire commune de séparation de couple avec le chauffeur de taxi cubain, à l'exposition d'un homme âgé que l'on suppose être Juan Mijares Cruz, le général génocidaire, le procédé narratif peut surprendre et pourtant le sens s'affine progressivement dans cette confrontation de deux narrations.
L'idée est ici que ce qui précède le film a autant d'importance que le film lui-même, la parole étant celle des intentions et son absence celle des choix de mise en scène d'une description imparable de la dénonciation de l'exercice du pouvoir. L'exil politique d'un criminel de guerre philippin à Cuba renvoie également à celui des criminels nazis en Amérique latine, notamment en Argentine dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. De la même manière qu'il y a répétition de l'histoire dans ces génocides après lesquels des voix pouvaient s'élever pour crier ¡Nunca más!, le criminel de guerre a imposé son pouvoir d'asservissement sur toutes les personnes qui l'environnent dans une île qui politiquement s'est révoltée contre l'oppression du capital.
Ainsi, le dispositif narratif est suffisamment malin pour multiplier les lectures politiques du film entre Cuba et les Philippines.

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Taxibol
de Tommaso Santambrogio
49 minutes. Italie, 2023.
Noir & Blanc
Langue originale : espagnol, anglais
Avec : Lav Diaz (lui-même), Gustavo Fleita (lui-même, le chauffeur de taxi), Mario Limonta (Juan Mijares Cruz), Mayra Isabel Mazorra Perez, Armando Omar Pérez
Scénario : Tommaso Santambrogio
Images : Tommaso Santambrogio, Lorenzo Casadio
Montage : Julieta Seco, Natalia García Clark
Son : Matteo Faccenda
1re assistante réalisatrice : Giselle Garcia Castro
Production : Chiotto Production, Rosso Film
Producteurs : Ivan Casagrande Conti, Marco Malfi Chindemi, Tommaso Santambrogio
Producteur exécutif : Matteo Faccenda