Billet de blog 22 juin 2015

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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La violence conjugale : le régime de la terreur dans un espace prétendument démocratique

Il y a tout juste un mois, le 13 mai 2015, sortait en salles le quatrième film de Diego Lerman : Refugiado. Le film poursuit son chemin dans les salles et pour revenir sur quelques points d’intention de ce film, voici l’entretien réalisé avec Diego Lerman en mai 2014, à l’occasion de la première projection du film au festival de Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs.Entretien avec Diego Lerman, pour son film Refugiado

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a tout juste un mois, le 13 mai 2015, sortait en salles le quatrième film de Diego Lerman : Refugiado. Le film poursuit son chemin dans les salles et pour revenir sur quelques points d’intention de ce film, voici l’entretien réalisé avec Diego Lerman en mai 2014, à l’occasion de la première projection du film au festival de Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs.

Entretien avec Diego Lerman, pour son film Refugiado

Illustration 1
Diego Lerman © DR

On retrouve dans votre quatrième long métrage le portrait poignant d’une femme confrontée à son univers social. Y a-t-il en cela une volonté précise de témoigner dans votre filmographie de la situation actuelle des femmes dans la société argentine ?

Diego Lerman : Ce n’est pas du tout conscient mais il est vrai que mes personnages principaux sont des femmes aux caractères forts. Développer ces personnages m’intéresse beaucoup sans qu’il s’agisse pourtant d’un projet conscient.

La nouveauté dans Refugiado est de travailler avec un enfant. La réalité de sa mère est appréhendée par ses yeux et celle-ci se définit en relation à son fils.

D. L. : Évidemment, le fait que je m’intéresse à un enfant vient du fait que je suis moi-même père de deux enfants et que je me suis interrogé sur le regard quotidien qu’ils peuvent avoir. Plusieurs choses sont en jeu dans ce film. Il y a tout d’abord un sujet très concret et actuel dans la société argentine contemporaine et ensuite le regard d’un enfant sur celui-ci. J’appelle parfois ce voyage un road-movie domestique pour mettre en avant la permanence de la contrainte au voyage dans une atmosphère de thriller. J’ai tenté de rester continuellement proche de ces deux personnages de la mère et de son fils, leur relation vis-à-vis de l’extérieur durant leur fuite et leurs relations entre eux.

Il n’est pas anodin que vous soyez père et cela se ressent dans l’espoir que vous placez dans la relation mère-fils, qui permet à la mère de se maintenir face aux situations les plus éprouvantes.

D. L. : En effet, Matías finit par prendre un rôle fondamental à la fin du film prenant une décision importante impliquant sa mère, leur permettant de rester isolés. Malgré tout, cet univers est très fragile parce que l’on ne peut pas rester toute sa vie caché. Leur cheminement consiste à s’éloigner des situations violentes et commencer à accepter un autre type de vie.

Comment avez-vous dirigé l’enfant qui fait preuve de beaucoup de spontanéité ?

D. L. : Concrètement, j’ai beaucoup utilisé l’improvisation. Sur le tournage, je lui ai indiqué le contexte et la direction qu’il pouvait prendre. Ainsi se sont construites ces séquences où Matiás joue. Il y avait une alchimie assez forte entre Sebastián Molinaro (Matiás) et Valentina García Guerrero qui joue Ana, la petite fille. Ils ont fait plusieurs propositions et la caméra était toujours prête à les filmer. Tout s’est passé comme s’il s’agissait d’un jeu entre moi qui assurait la mise en scène et eux. Nous n’avons pas eu tant à filmer : la caméra n’a tourné que lorsqu’ils étaient prêts.

En relation directe avec votre précédent long métrage L’Œil invisible (La Mirada invisible), le cheminement du personnage féminin qui subit les violences conjugales est vécu comme une expérience de dictature : sous un régime de la terreur, elle ne peut trouver refuge dans son foyer et est contrainte à l’exil. Dans un pays démocratique, il reste essentiel, semblez-vous dire, de s’interroger également de l’exercice de la démocratie dans la sphère privée du couple.

D. L. : En effet, il y a un lien très concret entre ce qu’ont vécus certains citoyens sous la dictature et ce que vivent certaines femmes actuellement en étant persécutées et parfois même assassinées. Ceci n’a évidemment rien à voir avec une dictature militaire, mais renvoie à un contexte social et domestique actuel véritablement atroce. Je me suis moi-même rendu compte de cette similitude durant le tournage alors que me revenait en mémoire la fuite de mes parents durant la dictature alors que j’étais petit, que je devais choisir seulement quelques jouets avant de partir précipitamment de chez moi. Nous sommes passés de maison en maison avant de trouver un refuge dans la région d’El Tigre. Ce fut inconscient mais je pense que cette expérience personnelle se retrouve effectivement dans le film.

Le récit suit une progression d’un espace clos et sombre dans un milieu urbain à l’arrivée de la lumière et d’extérieur hors de la ville.

D. L. : Le film se vit à la fois comme la recherche d’un refuge et une échappée aux accents de thriller. La présence de la nature témoigne d’un lieu loin de tout où le seul lien reste le téléphone.

Illustration 2
© Haut et Court

Le film est une coproduction entre cinq pays et vous êtes vous-mêmes l’un des producteurs. Comment êtes-vous arrivé à ce type de choix de production ?

D. L. : J’ai été producteur sur mon premier film et producteur associé sur le deuxième. Pour L’Œil invisible, avec Nicolás Avruj,  mon associé sur la société de production El Campo Cine, j’ai appris que pour pouvoir faire le film que je voulais et de la manière que je voulais ,je devais aussi être mon propre producteur. En effet, les choix de production ont une grande influence sur la réalisation du film. M’impliquer dans la production est pour moi une continuité dans ma volonté de trouver l’espace de liberté pour m’exprimer. C’est devenu un choix indispensable.

Que envisagez-vous la rencontre du public avec le film à travers le monde ?

D. L. : Ce film traite d’une réalité devenue quotidienne en Argentine. Après avoir commencé à faire lire le scénario du film aux futurs producteurs étrangers du film, je me suis rendu compte que la thématique trouvait un véritable écho dans d’autres pays, mais si le contexte social est bien distinct. Partout dans le monde la société de consommation, notamment à travers la publicité, franchit facilement les portes de la sphère domestique mais sans remettre en cause ce qui s’y passe. Il ne s’agit pas de montrer des cadavres mais de rendre public un drame intimiste qui se transforme littéralement en féminicide.

Considérez-vous que le cinéma peut permettre de prendre conscience de cette réalité sociale ?

D. L. : Tout à fait : je crois que le cinéma doit aussi témoigner de ce qui est passé sous silence dans la société. Donner un point de vue et mobiliser les consciences est pour moi un des objectifs du cinéma et de l’art. Je ne crois pas du tout à l’idée d’un film isolé de la société : il est toujours en constante relation avec elle. Ainsi, les solutions ne peuvent pas directement venir du cinéma, il faut qu’elles émergent de la société elle-même.

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