Billet de blog 22 juin 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Carlos Eichelmann Kaiser et Gabriela Maldonado pour "Zapatos rojos"

Le film "Zapatos rojos" réalisé par Carlos Eichelmann Kaiser était en compétition fiction de la 35e édition du Festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse qui s'est déroule du 25 mars au 2 avril 2023. Cet entretien a été avec Carlos Eichelmann Kaiser et sa productrice Gabriela Maldonado.

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Cédric Lépine : Zapatos rojos semble construit sur de nombreux éléments issus directement de l'histoire du cinéma mexicain, avec notamment la figure de la prostituée qui représente la ville et le vieil homme que représente l'âme de la ruralité.

Carlos Eichelmann Kaiser : De l'étape de l'écriture du scénario au tournage, il est vrai que j'étais habité par le cinéma classique mexicain et je pense que c'est inévitable. Le cinéma est presque la mémoire génétique des Mexicains et Mexicaines. C'était moins intentionnel qu'inconscient. Le cinéma ranchera nous a marqué et j'ai encore en tête Pedro Infante et Jorge Negrete. Chaque fin de semaine à la télévision durant mon enfance, j'ai pu ainsi voir de nombreux films rancheras.

Illustration 1
Carlos Eichelmann Kaiser et Gabriela Maldonado © Francisco Muñoz

Il me semble que cette transmission de l'histoire du cinéma s'est perdue et j'en suis triste.

Gabriela Maldonado : Je ne suis pas Mexicaine mais Vénézuélienne et je me rappelle aussi que nous voyions à la télévision le cinéma ancien de notre pays parce qu'en l'absence des plateformes actuelles, il n'y avait que cela à voir.

Carlos Eichelmann Kaiser : Il est incroyable de voir à quel point l'on se connecte avec ces histoires et ces personnages. Je me suis ainsi identifié avec les Mexicains de ces films anciens et leurs valeurs. La narration est plus mélodramatique avec une exacerbation des expressions mais ce cinéma m'inspire beaucoup dans mon regard sur le Mexique.

Cédric Lépine : L'avantage des films rancheras c'est que les émotions des hommes peuvent passer par le chant et l'exacerbation de la gestuelle. Comment avez-vous relevé le défi d'exprimer des émotions avec le personnage du vieil homme, Tacho ?

Carlos Eichelmann Kaiser : Je vais généraliser un peu en disant cela alors qu'il existe forcément des exceptions mais dans les rancheras, les personnages masculins commencent à parler de leurs émotions quand ils commencent à boire et s'enivrer. Il peut dès lors rire, pleurer et même chanter avec ses amis, en témoignant de sa souffrance en amour. C'est la partie la plus mélodramatique de la ranchera que je devais « nettoyer » un peu afin de réaliser un film plus « sophistiqué ». Quant au monde plus intérieur où les sentiments ne s'expriment pas, je crois que précisément les émotions peuvent se trouver. Ainsi, dans la manière de Tacho de prolonger son regard, sa manière de discuter avec les autres sans jamais chercher à démontrer quelque chose, on trouve sa singularité émotionnelle. Je souhaitais avoir un film reposant sur un personnage qui parle peu et où, au final, certaines séquences marquent d'autant plus qu'elles contiennent beaucoup de dialogues sous forme d'une confession.

Gabriela Maldonado : De même, le personnage de Damiana est intéressant parce qu'elle est une super survivante de la ville et que peu à peu elle livre à sa manière ses propres émotions à Tacho.

Cédric Lépine : Pouvez-vous parler du poids que porte Tacho notamment dans une culture qui associe les hommes à la consommation de l'alcool comme moyen de libération émotionnelle ?

Carlos Eichelmann Kaiser : Cette problématique de la dépendance des hommes à l'alcool en relation avec leurs émotions est assez complexe et le film s'en sert comme un contexte mais sans pour autant le développer. Tacho est en effet marqué par une grande culpabilité et si la fin est volontairement ouverte, je suis convaincu que le protagoniste ne peut trouver sa rédemption car il est condamné à retrouver son monde et la solitude dans laquelle il est enfermé.

Cédric Lépine : La réalité sociale mexicaine présentée dans le film apparaît très fragmentée avec des personnages isolés les uns des autres.

Carlos Eichelmann Kaiser : Ceci est en fait le témoignage de la dissolution du tissu social dans le Mexique contemporain. La première partie du film est une représentation réaliste de ce qui se passe dans le milieu rural. C'est aussi curieux de constater à quel point l'on peut se retrouver isolé.es dans les villes. Ainsi, dans la campagne où les individus sont plus séparés physiquement, la communauté est davantage unie : même la police génère de la sympathie en demandant des nouvelles. Dans la ville où tout le monde est connecté avec Internet, en réalité nous sommes émotionnellement séparé.es les un.es des autres.

Illustration 2
Zapatos rojos de Carlos Eichelmann Kaiser © DR

Gabriela Maldonado : Avec cette situation classique où l'on peut ignorer qui est son voisin en ville alors que dans un village tout le monde se connaît, dans une affirmation de la solidarité rurale mexicaine qui est réelle : ce n'est pas une invention. Les personnes qui ont le moins sont toujours disposées à aider les autres.

Carlos Eichelmann Kaiser : Je trouve que les valeurs du monde rurales reposent sur le principe de l'empathie.

Gabriela Maldonado : En Amérique latine, tout est tellement centralisé qu'il y a comme une nécessité d'aller à la capitale.

Carlos Eichelmann Kaiser : On retrouve au Mexique le phénomène de la migration vers les USA selon le fantasme du « rêve américain » qui est en fin de compte une vraie folie : dans 90% des cas le rêve devient cauchemar !

Cédric Lépine : Lors de la première rencontre entre Tacho et Damiana, celle-ci apparaît comme un fantôme revenu du monde des morts, à peine éveillée : comment cette scène a été envisagée et avec quelles intentions ?

Carlos Eichelmann Kaiser : Même si au départ la scène n'était pas conçue ainsi, il est vrai que Damiana est un personnage instable car elle souffre mais ne veut pas exposer ses douleurs aux autres.

Gabriela Maldonado : Damiana est une survivante qui doit sans cesse monnayer son aide pour survivre mais elle change au contact de Tacho.

Carlos Eichelmann Kaiser : J'aime que Damiana accentue sa superficialité qui est une protection pour protéger son monde intérieur. Par ailleurs, mon intention était à travers elle de personnifier la ville.

Zapatos rojos
de Carlos Eichelmann Kaiser
Fiction
82 minutes. Mexique, Italie, 2022.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Eustacio Ascacio (Tacho), Natalia Solián (Damiana), Phanie Molina (Alejandra), Miguel Ángel Valencia (Rubén), Rosa Irine Herrera
Scénario : José Francisco González Garcia, Adriana Gonzáles Del Valle
Images : Serguei Saldìvar Tanaka
Montage : Omar Guzmán
Musique : Camilla Uboldi
Son : Chema Ramos Roa
Effets visuels : Luca Saviotti
Réalisateur seconde équipe : José Francisco González Garcia
Costumes : Carolina Burbano
Décors : Nohemi Gonzales Martinez
Casting : Diana Sedano
Scripte : Tanya Alvarez
Production : BHD Films (Carlos Eichelmann Kaiser, Alex De Icaza, Gabriela Maldonado), 102 Distribution (Paolo Ansaldi, Maria Pia Billi)
Vendeur international : 102 Distribution

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