Billet de blog 22 juillet 2016

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Héctor Gálvez, à propos de son film “NN”

En 2015, Héctor Gálvez était invité à présenter son film “NN” en compétition officielle au festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse.

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Héctor Gálvez © Laura Morsch-Kihn assistée de Sofia Espinosa

Cédric Lépine : Pouvez-vous rappeler le contexte historique au Pérou dans lequel se sont déroulés les massacres qu'évoquent les restes des corps retrouvés sans identités (NN) dans le film ?
Héctor Gálvez : Je vais tenter de résumer cette période qui est cependant longue et très complexe. Chaque fois, les sociologues et autres chercheurs continuent à faire évoluer la vision que l'on peut avoir sur ce phénomène tragique. Du début des années 1980 à la fin des années 1990 s'est déroulée une période de violence politique au Pérou. Un groupe terroriste, le Sentier Lumineux, a commencé à lancer une vague de violences armées dans le pays. Entre ce groupe et les forces étatiques se produisirent de nombreux excès de violences meurtrières, dont la responsabilité incombe aux deux bords armés. On retrouve ce qui s'est malheureusement passé dans d'autres pays d'Amérique latine : meurtres, assassinats, viols, agressions sexuelles, disparitions. Les personnes disparues ont été enlevées de leur maison et n'ont plus jamais été revues de leurs proches. On ne dispose pas de statistiques exactes mais selon la Commission de la Vérité, chargée d'enquêter, on compterait autour de 15000 disparitions. La plupart de celles-ci ont été causées par les forces armées de l'État qui ont fait disparaître les corps de leurs victimes pour ne pas être incriminées. Ce résumé est encore trop injuste par sa concision parce qu'il faudrait aussi parler des affrontements entre communautés. Il y eut également un autre groupe terroriste qui avait encore d'autres manières d'opérer. Le Sentier Lumineux n'est pas une armée comme les FARC en Colombie : il se fond dans la population à tel point que les forces armées d'État n'hésitaient à associer les communautés villageoises avec le groupe terroriste.
Dans les premières années, les communautés vivant dans ces montagnes furent les plus touchées par la Violence. Elles représentent la partie de la population la plus pauvre du pays, qui ne parle pas espagnol et qui était quasi inconnue des habitants de la capitale. Cet isolement a ainsi permis et laissé sous silence la Violence qui s'est abattue sur ces communautés.

C. L. : Vous aviez réalisé précédemment Lucanamarca, un documentaire sur les massacres perpétrés dans une communauté rurale, sujet proche de NN, puis une fiction avec des acteurs non professionnels, Paraíso. Pourquoi avez-vous opté avec NN pour la fiction pour traiter ce sujet ?
H. G. :
Ce ne fut pas une décision consciente. Je n'ai en effet jamais prévu de réaliser il y a dix ans ces films. Pour Lucunamarca, nous avons travaillé avec l'équipe de la Commission de la Vérité. Au moment où il était question d'exhumation, nous avons pensé, tous ensemble, qu'il serait intéressant de réaliser un documentaire sur ce qui allait se passer. En finissant la réalisation de ce documentaire, je ne pensais pas que je ferai une fiction sur ce thème même s'il est manifeste que celui-ci habite immanquablement mes pensées.
Un jour, une amie m'a raconté le cas d'une exhumation où l'on a retrouvé les restes d'un corps avec une chemise, dans la poche de laquelle se trouvait la photo d'une fillette. Je pris alors conscience qu'il y avait là de quoi construire un film. Pour Lucanamarca comme pour NN, ce qui était essentiel pour moi c'était de parler de la période de la Violence à partir du point de vue actuel. Parce que ces événements ne se limitent pas à l'époque où ils ont lieu : les personnes qui en ont été victimes en sont toujours affectées. J'étais intéressé par cet autre regard des anthropologues qui sont en relation avec l'histoire de ces massacres. Au moment de Lucunamarca, je n'avais pas encore acquis la confiance des anthropologues pour connaître ce qu'ils ressentaient. Indirectement, ils sont victimes eux-mêmes de cette Violence. Ils prennent en effet en charge de reconstituer l'histoire du défunt afin de la livrer aux proches de celui-ci. Certains anthropologues qui m'ont conseillé sur la rédaction du scénario comparait leur travail à une drogue : c'est-à-dire qu'ils savent que leur activité va les faire souffrir mais en même temps ils ne peuvent pas cesser de la poursuivre. Il faut aussi préciser qu'il n'y a pas de politique d'exhumation digne de ce nom, à la différence de ce qui se passe au Chili et en Argentine à propos des disparus des dictatures que ces pays ont connues. Ainsi, il n'y a pas au Pérou l'équivalent des Madres de la plaza de 5 de mayo.

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"NN" de Héctor Gálvez © DR

C. L. : NN met en valeur, à travers le travail des anthropologues, deux manières distinctes de vivre un deuil : un monde scientifique et urbain dont les personnes ne sont pas directement liées aux disparus, face aux communautés rurales. Mais tous deux vivent un deuil même si la communication entre eux n'est pas évidente.
H. G. :
Réaliser NN fut pour moi beaucoup plus complexe que Lucanamarca et Paraíso parce que le sujet y est bien plus ample. Ainsi, je peux encore m'interroger sur le fait d'avoir ou non réalisé ce film avec la meilleure profondeur. Je reste encore très critique quant au résultat de ma réalisation. Il est vrai qu'il existe aussi des anthropologues qui se contente d'écrire sur la fiche des restes d'un corps si l'identité a été trouvée ou non. Les personnages principaux du film sont proches des familles parce qu'ils peuvent comprendre l'angoisse des familles des disparus. Ainsi, ces anthropologues vont bien plus loin que ce que leur demande leur fonction. Je ne pense pas que du côté des familles il y ait de la méfiance envers eux. En effet, les anthropologues incarnent pour les familles l'ultime chance de connaître la destinée de leurs proches disparus. Pour cette raison, les anthropologues doivent assumer beaucoup de pression sur leurs épaules. Il n'y a qu'eux qui peuvent encore donner l'espoir aux familles parce qu'ils incarnent ceux qui peuvent dire la vérité. En outre, dans les communautés chrétiennes, il est essentiel de pouvoir retrouver les restes d'un défunt et de lui offrir une inhumation.

C. L. : Réaliser un film sur ce sujet c'est aussi s'associer à la démarche des anthropologues consciencieux. Ainsi, le cinéma a un rôle social important à jouer témoignant de ce que vivent les citoyens affectés par la Violence.
H. G. :
Je dois avouer mon intérêt profond pour ce sujet, aussi bien en tant que réalisateur que citoyen. Ce que je cherche à faire c'est communiquer sur ce sujet. C'est là ce qui m'a motivé à réaliser ce film. Je souhaite d'une certaine manière transmettre l'intensité éprouvée par ces personnes. Je ne cherche pas à découvrir qui a tué telle personne, si un tel était terroriste ou non. Je ne souhaite pas entrer dans ces accusations politiques. Au centre du film, se trouve bien davantage le deuil vécu. Encore une fois, la réalisation de ce film ne part pas d'un projet bien conscient. J'ai entendu et appris tellement de choses en accompagnant la Commission de la Vérité que d'une certaine manière j'ai “canibalisé” ces histoires pour en rendre compte dans mes films. Ainsi, je suis actuellement en train d'écrire une pièce de théâtre qui a beaucoup à voir avec Lucanamarca et NN. J'espère avec celle-ci clore ce chapitre autour de ce sujet qui occupe mon esprit. Mais ce que je ferai à l'avenir, je ne peux le planifier sur le long terme. Lorsque je pense à Lucanamarca, Paraíso etNN, je retrouve ce lien commun de la communication avec les morts. Ainsi, dans Paraíso un jeune faisait un rituel dans une grotte à la mémoire de son ami disparu.

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