
Sortie (France) du 22 avril 2015 : Sangre de mi sangre, de Jérémie Reichenbach
En Argentine, alors que leur entreprise fut déclarée en 2005 suite à la crise économique de 2001, les ouvriers de l’abattoir de Bahia Blanca ont mené une âpre lutte pour conserver leur emploi. Ils ont acquis la cogestion et l’abattoir est devenu une coopérative. En suivant plus particulièrement un jeune ouvrier, Tato, chez qui il a été accueilli, le documentariste Jérémie Reichenbach filme de manière égale le temps au travail et le temps en dehors de celui-ci. Vie et travail sont ici étroitement liés, car dans les deux cas, à la maison comme à l’abattoir, on se retrouve en famille (la plupart des personnes qui travaillent dans cette coopérative sont des proches : père, fils, cousins, neveux travaillent ensemble), à gérer la bonne marche du lieu où l’on s’investit. Le sang (sangre en espagnol) du titre évoque aussi bien le travail que les relations familiales. Il est judicieux de la part du réalisateur d’avoir choisi un abattoir, car c’est probablement l’un des derniers endroits où l’on aurait pu imaginer un « travail choisi » et assumé en conséquence. En effet, l’abattoir où l’on découpe de la viande à la chaîne a souvent été utilisé au cinéma pour rendre compte de l’exploitation ouvrière et plus généralement de l’individu dans la société. Il suffit de se remémorer par exemple Rêve d’or de Diego Quemada-Diez (2013), où l’un des protagoniste, un adolescent guatémaltèque, qui rêvait d’une autre vie aux États-Unis, y trouvait finalement un travail subalterne dans un abattoir. De même, les immigrés clandestins de Fast Food Nation (Richard Linklater, 2005) travaillaient dans un abattoir, dans des conditions déplorables de sécurité, de rémunération, etc. Ainsi, l’abattoir figurait la parfaite métaphore de l’exploitation de l’homme par l’homme, d’un groupe social par un autre, dans une société de surconsommation et de malbouffe.
Jérémie Reichenbach relève avec succès un grand défi en filmant un abattoir pour raconter autre chose que tout ce qui a pu être raconté sur ce lieu. Tout d’abord, il prend le parti de filmer des individus spécifiques dans leurs tâches au travail tout en les suivant dans la vie intime de leur foyer. Dès lors, l’homme travaillant à l’abattoir est appréhendé au-delà de ses gestes spécifiques : il fait corps avec son ouvrage et la gestion de la coopérative. Filmer le travail est une expérience finalement très rare au cinéma et Sangre de mi sangre offre l’opportunité de réfléchir à celui-ci sans jamais le dissocier du reste de la vie d’un homme. Sans regard ni échange face caméra, ce documentaire flirte souvent avec la fiction : le réalisateur cherche davantage à faire partager le quotidien de ces hommes que de donner des informations spécifiques au spectateur. En cela, il a le mérite de ne pas disséquer la vie avec sa caméra pour l’exposer plus tard en salle. Ce film est brillamment soutenu par ISKRA, en produisant et distribuant le film en France : depuis son apparition au début des années 1970, ISKRA poursuit inlassablement sa mission d’offrir des alternatives face à un certain cinéma commercial qui occulte délibérément divers enjeux sociétaux, dont la réalité de l’individu au travail.

Sangre de mi sangre
de Jérémie Reichenbach
Documentaire
78 minutes. France - Argentine, 2014.
Couleur
Langue originale : espagnol
Images : Jérémie Reichenbach
Montage : David Jungman
Montage son : Olivier Goinard, Juliette Heintz
Mixage : Olivier Goinard
Étalonnage : Gadiel Bendelac
Générique : Pascal Deydier-Poggi
Musique : Frank Williams, Benoît Daniel, Olivier Bodin
Son : Jérémie Reichenbach
Production : Quilombo Films, ISKRA, El Desencanto
Coproduction : Le Fresnoy - Studio National Des Arts Contemporains
Producteurs : Adonis Liranza, Matthieu De Laborde, Carmen Guarini
Distributeur (France) : ISKRA
site du film :
http://www.sangredemisangre.info/