Billet de blog 25 juillet 2016

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Marco Berger, à propos de son film “Mariposa”

En 2015, Marco Berger était invité à présenter son film “Mariposa” en compétition officielle au festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse.

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Illustration 1
Marco Berger © Laura Morsch-Kihn assistée de Sofia Espinosa

Cédric Lépine : L'histoire de Mariposa semble représenter l'idée de l'amour platonicienne, selon laquelle chaque individu doit rechercher sur terre son autre moitié pour retrouver sa totalité initiale issue du monde des Idées. Cette quête s'illustre dans Mariposa, quelle que soit les différentes identités qu'empruntent tes personnages.
Marco Berger : J'aime penser que l'essence de ces personnages dans les deux histoires est la même, quel que soit le contexte qui les identifie dans la société. De cette manière, si tu naissais poète dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale ou dans une autre période historique, je pense que le désir de faire de la poésie resterait égal. Le film permet de poser le conflit de cette idée du destin et de comment le contexte aide ou n'aide pas les situations. Ainsi, dans l'une des deux histoires, les deux personnages ignorent qu'ils ne sont pas frère et sœur. Pour faire face à cette situation donnée, ils doivent, pour rencontrer leur propre destin, assumer de se déterminer l'un par rapport à l'autre. Bien au-delà du genre de la comédie ou de la tragédie, la conclusion du film se trouve dans la concrétisation des désirs des personnages en un même lieu. J'aime l'aspect ludique de ces histoires qui me permet de jouer avec la vie même et d'imaginer des alternatives de vie à partir d'un événement commun. Dans l'une des deux histoires, les personnages ne se disent jamais la vérité parce qu'ils ne se parlent pas. Et dans l'autre, ils évitent le thème qui les relie dans une construction du récit beaucoup plus lente, plus concise et plus forte, comme leur liens qui étaient plus intenses lorsqu'ils étaient frère et sœur que lorsqu'ils sont amis.

C. L. : Dans tous tes films l'histoire d'amour de tes personnages sont vécues comme une révélation soudaine de leur propre identité.
M. B. :
Je pense en effet que le thème de l'amour comme une révélation envers le désir sexuel m'intéressera toujours. Souvent, il y a une sorte de connexion avec l'autre personne qui fait que cela se transforme en un désir sexuel. Mais cela ne fonctionne pas à l'envers, autrement dit, ce n'est pas le désir sexuel qui conduit à l'amour. Tout commence par le fait de tomber amoureux et vient ensuite l'identification pour une identité sexuelle. Même si nous vivons dans un monde moderne où deux hommes, comme deux femmes, peuvent se marier, il reste encore dans l'air des questions non résolues. Une de ces questions est ce qui permet ou non au désir de se révéler. Le désir peut parfois être bisexuel alors que certains le considèrent comme le résultat d'une homosexualité réprimée. Mais en fait non: le désir peut être orienté vers les deux sexes à la fois mais une orientation peut être reniée au fond de l'individu. Parfois, ce reniement se vit apparemment bien et d'autres fois pas du tout. Pour cette raison ces questions m'intéressent beaucoup.
Dans le monde moderne où il n'est plus interdit d'être homosexuel et de l'exprimer, je sens qu'il y a toujours un frein du côté de mon interlocuteur éventuel, comme si accepter l'homosexualité de l'autre nécessitait d'accepter la sienne. Ce sont ces conflits au sein de l'individu qui m'intéressent. L'idée serait de poser un futur utopique où les individus peuvent être librement eux-mêmes. Pour cela je pense que tout le monde peut explorer ses propres émotions à travers les films.

Illustration 2
"Mariposa" de Marco Berger © DR

C. L. : Alors que tes personnages étaient plus âgés dans tes précédents films, leur identité est ici confrontée dans Mariposa au regard de la famille, notamment des parents chez lesquels ils vivent.
M. B. :
En effet, je m'intéressais ici à cette obligation de vivre tous ensemble en un même lieu. En outre, la famille constitue la première représentation de la société. Ainsi, les personnages se sentent contrôlés par tout le contexte familial que représente aussi le contexte social. Depuis la première partie dramatique où la famille recueille le bébé abandonné, la famille vit dans le mensonge puisque les deux personnages principaux ignorent qu'ils ne sont pas frère et sœur. Avec cela, j'aime beaucoup travailler sur l'intimité de mes personnages placés dans le contexte de la famille, elle-même située dans un contexte social. Au-delà de changer l'âge de mes personnages, ce qui m'importe le plus c'est de travailler sur leurs conflits intimes, où ils prennent conscience qu'ils sont eux-mêmes leur propre prison. Car souvent l'origine du conflit se trouve au fond d'eux.

C. L. : Alors que le film suit une évolution des personnages, est-ce que le tournage s'est déroulé dans l'ordre chronologique des événements du film, une histoire après l'autre ?
M. B. :
Tout d'abord, j'ai filmé les deux histoires séparément l'une de l'autre. Ensuite, pour chaque univers je n'avais pas la liberté de filmer chronologiquement car je devais prendre en compte la disponibilité de chaque lieu. Ainsi, Mariposa est mon film le plus découpé. Ainsi je devais davantage faire naître le film au montage. D'une histoire à l'autre, il y avait non seulement un changement spatio-temporel mais aussi un changement d'univers. Ainsi, je devais associer au montage des scènes d'univers distincts à partir d'un regard, d'un mouvement de porte, etc. Je ne devais pas me perdre dans ce montage ni perdre le public. Les acteurs sont ceux qui ont le plus souffert de ce désordre chronologique et je devais d'autant plus être présent à leurs côtés pour leur raconter les scènes précédentes que leur personnage était censé avoir vécu. Il fallait ainsi que je les fasse entrer dans une situation psychologique avant que celle-ci n'ait lieu. Pour moi, ce type de travail est spécifique du cinéma. Ce qui se passe pour eux se trouve dans le scénario et les personnages qui en émergent proviennent des acteurs eux-mêmes. Je dois penser à la lumière, aux décors, mais les acteurs restent primordiaux. De telle sorte qu'à côté des acteurs, pour moi, le reste ne sert qu'à rendre plus ou moins beau un film. Ce qui importe c'est que le spectateur puisse comprendre ce qui est en train d'arriver aux personnages. Maintenant, les spectateurs ne se laissent plus aussi facilement surprendre : il faut donc que ce soit l'âme des personnages mêmes, leur psychologie, qui les surprennent

C. L. : Comment as-tu travaillé avec les acteurs ? Ont-ils lu et travaillé plusieurs fois leur personnage?
M. B. :
Seulement une seule fois mais je n'aime pas procéder ainsi. Ceci s'est produit seulement parce qu'une actrice me l'a demandé. Je préfère travailler avec des acteurs dont je connais leurs compétences et pour lesquels je sais qu'ils sauront répondre au mieux au moment du tournage. J'ai toujours peur qu'une sorte de magie apparaisse au moment d'un essai avec les comédiens et qu'elle disparaisse au moment du tournage. Je préfère donc que cette magie apparaisse à la première prise lors du tournage. En outre, nous sommes à l'heure du numérique où les répétitions ne posent plus de problèmes économiques. La plupart du temps, pour faire face à mon doute à venir, je fais toujours au minimum deux prises d'une même scène. Parce qu'une scène qui m'avait plu au moment du tournage, peut me déplaire au montage.

Illustration 3
"Mariposa" de Marco Berger © DR

C. L. : Les personnages apparaissent dans une opposition entre un corps incertain et des paroles qui semblent plus sûres d'elles-mêmes.
M. B. :
Tous les dialogues étaient écrits dès l'origine : nous n'avons jamais improvisé. À l'exception du cas où un acteur ne se sent pas à l'aise avec une partie de dialogue, en général les dialogues restent les mêmes. Car chaque dialogue possède en lui-même une telle spécificité dans le déroulement du film, qu'aucun chagement n'ait possible. En revanche, les acteurs peuvent improviser sur des dialogues complètement anecdotiques.

C. L. : Tes personnages se séduisent avec leurs mots plus qu'avec leur corps, comme si ceux-ci ne pouvaient prendre d'initiatives.
M. B. :
En effet, comme dans cette séquence dans Mariposa où Germán et Bruno parlent ensemble. Quand l'un parle des filles, l'autre ne lui répond pas. Ce mutisme est une manière d'exprimer ce qu'il ressent intérieurement. Bruno demande s'il peut dormir en bas, qui est comme la représentation de son désir réel : l'autre accepte mais commence à présenter des alternatives. Ils ne peuvent ainsi s'exprimer directement quant à leurs désirs et ceux-ci se traduisent donc sous d'autres formes. C'est ainsi qu'ils esquivent la réalité à travers leurs dialogues où la sexualité est implicite.

C. L. : Tu réalises chaque fois toi-même le montage de tes films: comment assumes-tu ces deux faces créatrices, entre le scénario que tu as écrit et les images que tu montes ? Est-ce que le montage aboutit à de nombreux changements par rapport au scénario ?
M. B. :
J'écris un scénario comme s'il en m'était pas destiné. Autrement dit, cet exercice d'écriture est suffisamment détaillé pour qu'une autre personne que moi à la réalisation et au montage puisse immédiatement le comprendre. Il faut dire que le scénario dispose d'une structure déjà fortement “montée” du point de vue de l'écriture. Au moment du tournage, je me sens d'autant plus libre d'expérimenter des choses dans ma mise en scène que je sais compter sur une structure forte du côté de l'écriture du scénario. Lorsqu'ensuite je me dédie au montage, j'oublie complètement à la fois le scénariste et le réalisateur que j'ai été. En effet, en tant que réalisateur je filme une tonne de choses que j'adore. Mais en tant que monteur, je dois apprendre à enlever des scènes et images. Si je monte trop de choses, je vois que le film manque de logique et que je dois le remonter autrement, comme si je réprimais le désir du réalisateur de réapparaître ainsi dans le film. Telle est l'importance du montage. Ainsi avec Mariposa je disposais de nombreux rushes et je me suis servi du scénario comme guide puisqu'il dispose d'une structure suffisamment forte pour porter lefilm dans son ensemble. En revanche, il me faut repenser des scènes parce qu'elles ne fonctionnent pas ou que je les trouve ennuyeuses. Pour Mariposa je suis resté trois mois en montage sans être satisfait du résultat, il me fallait donc trouver un regard extérieur. L'enjeu est ici de pouvoir me séparer de la fonction créatrice précédente lorsque je me dédie à l'une d'elle. Certains dialogues sont trop longs et je ne m'en rends compte qu'au montage. Il faut donc que je reconstruise l'ensemble. Chaque fois, je suis contraint à revenir au niveau zéro de mon processus créatif. Au final, le monteur est le rôle créatif le plus important car c'est lui qui termine le film.

C. L. : D'un film à l'autre, même si les histoires sont proches, les genres pour les aborder changent. Ainsi, Plan B est une chronique sentimentale, Ausente un thriller psychologique et Mariposa une fable.
M. B. :
La notion de genre d'un film m'enchante. Dans Plan B, j'aimais cette idée de comédie romantique propre au cinéma américain et que reconnaîtrait aisément le public du genre; de même avec Ausente en tant que thriller. Hawaii est un peu spécial car il ressemble à une romance qui se déroulerait au siècle passé. Tous ces films sont des fictions qui tentent de réfléchir à travers un autre point de vue à l'instar du film de science-fiction revisité par Tarkovski ou La Double vie de Véronique de Krzysztof Kieslowski. Dans ces genres aux contours bien délimités, j'aime intégrer ma propre forme de pensée. J'aime utiliser les structures du genre pour mieux pouvoir les rompre. Ainsi Ausente commence à l'ombre d'un genre avant que la structure ne se brise pour laisser apparaître un nouveau genre qui offre une nouvelle lecture de la première partie du film. Les structures du cinéma classique me ravissent. Si demain je devais tourner un road movie, je reviendrais aux origines du genre pour aller interroger la structure initiale. Je construis le film de telle sorte que le film ne puisse pas apparaître d'une autre manière.
Mariposa est une sorte de travail conçu sur un métalangage. Ce film représente ce qu'a représenté Plan B dans ma vie. En effet, c'est avec ce film que je me suis converti en cinéaste alors que planait toujours sur moi la possibilité de ne pas être cinéaste. Ainsi, j'avais presque peur dans les festivals que mon film soit plus grand que moi comme s'il s'agissait d'un monstre. Dans un premier long métrage tout devient extrême. Pour cette raison, le film comporte beaucoup de ma vie personnelle au sens où il représente toute la magie que comportent les multiples chemins que peut emprunter la vie.

C. L. : D'où vient cette idée de papillon (mariposa) qui donne son titre au film ?
M. B. :
Elle est issue de la théorie du chaos qui explique la possibilité des mondes parallèles. On dit qu'un léger mouvement d'aile de papillon peut provoquer un tremblement de terre à l'autre bout du monde. J'ai ensuite appliqué un point de vue très ludique à cette théorie. Ainsi, le papillon est devenu dans mon film le détail qui fait qu'une vie peut devenir complètement différente. Jouer avec le mythe et la fantaise populaire me paraissait merveilleux.

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