Billet de blog 25 septembre 2023

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

FBAL 2023 : "La Memoria infinita" de Maite Alberdi

Le quotidien d'un couple confronté à la perte des facultés du corps et de la mémoire dû à la maladie d'Alzheimer alors que tous deux étaient sont des figures de l'engagement politique et artistique qui ont traversé les heures les plus sombres du Chili.

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Film de la compétition long métrage documentaire de la 32e édition du Festival Biarritz Amérique Latine 2023 : La Memoria infinita de Maite Alberdi

Pour les Chiliens et les Chiliennes, l'intimité du quotidien d'un couple confronté à la maladie d'Alzheimer prend une autre dimension émotionnelle puisqu'il s'agit ici de deux figures médiatiques et politiques : Augusto Góngora en tant que journaliste politique et culturel, qui fut actif dans la clandestinité pour témoigner de l'horreur de la dictature et Paulina Urrutia, actrice pour le cinéma, la télévision et le théâtre puis ministre chilienne de la Culture de 2006 à 2010 sous la présidence de Michelle Bachelet. Tous deux, habitués de la caméra, doivent ici se confronter à un nouveau dispositif de mise en scène conçu toujours avec autant de génie que de subtilité par Maite Alberdi, réalisatrice des documentaires parmi les plus audacieux depuis les années 2010 au Chili avec El Salvavidas (2011), La Once (2014), Los Niños (2016), El Agente topo (2020). On retrouve d'ailleurs un bain de lumière frontale luxuriante toujours à l'œuvre depuis les images marquantes des plages d'El Salvavidas. Elle met ainsi en scène un naturalisme où l'expression de la narration est finement guidée par les intrigues au cœur de ses protagonistes dont l'aura de fiction semble émerger spontanément.

Illustration 1
La Memoria infinita de Maite Alberdi © Micromundo Producciones

Ce couple connu est filmé dans l'intimité de sa confrontation aux limites des conditions de l'expression fondamentale de son amour réciproque, puisque l'un n'est plus tout à fait lui-même et ne se reconnaît d'ailleurs plus tel et que l'autre se dévoue expressément dans chacun de ses gestes, devenant une figure maternelle dévouée à son enfant tout en conservant son amour d'épouse. Filmer l'intime de la relation d'un couple confronté à la maladie dégénérative d'Alzheimer au sein même d'un documentaire est un défi majeur potentiellement insurmontable. Cependant, Maite Alberdi réussit à raconter une histoire singulière et éminemment poignante avec sa perspicacité habituelle autour d'une mise en scène faussement simple et minimaliste, flirtant avec les codes de l'home movie tout en conservant sans cesse la main sur son récit même lors des séquences filmées en son absence durant le confinement de la pandémie de Covid. Le regard sur l'intime n'empêche nullement de devenir politique et à plus forte raison compte tenu de la place sociale des protagonistes qui dépasse leur seule réalité immédiate. C'est bien aussi leur persona qui est omniprésente, rappelée aussi par des images d'archives dans un pays où les problématiques de la mémoire sont un enjeu politique majeur.

La douceur de la bienveillance et des soins portés par Paulina Urruti à son époux Augusto Góngora s'identifient aussi pleinement aux choix de la mise en scène de Maite Alberdi à l'égard de ses protagonistes où le consentement à l'image est sans cesse questionné comme un acte politique stimulante auquel participent de manière explicite ces deux personnages médiatiques chiliens dont l'intime continue à faire œuvre artistique et politique dans une cohérence féconde.

Illustration 2

La Memoria infinita
de Maite Alberdi
Documentaire
85 minutes. Chili, 2023.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Paulina Urrutia, Augusto Góngora
Scénario : Maite Alberdi
Images : Pablo Valdés
Montage : Carolina Siraqyan
Musique : Miguel Miranda, José Miguel Tobar
Son : Juan Carlos Maldonado Dubó, Roberto Espinoza
Production : Juan de Dios Larraín et Pablo Larraín (Fábula), Maite Alberdi (Micromundo Producciones)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.