Billet de blog 25 septembre 2023

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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FBAL 2023 : "Portraits fantômes" (Retratos fantasmas) de Kleber Mendonça Filho

Entre histoire intime d'une maison familiale devenue décors de cinéma et un quartier de Recife où les salles de cinéma disparaissent pour changer de vocation, le cinéaste Kleber Mendonça Filho offre une lecture inédite de l'évolution de ces dernières décennies du Brésil.

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Film en avant-première de la 32e édition du Festival Biarritz Amérique Latine 2023 : Portraits fantômes de Kleber Mendonça Filho

Cinéphile enthousiasmant en tant que cinéaste comme en temps que critique de cinéma, Kleber Mendonça Filho a offert dès ses premiers courts métrages une mythologie fascinante à sa ville natale Recife. Celle-ci occupe la place centrale de son intrigue autour d'une déclaration d'amour ouverte à sa ville inspiratrice quand il passe par le documentaire où émergent malgré tout quelques fantômes inhérents à la démarche du cinéma, car faire des films et les projeter, n'est-ce pas réveiller en les convoquant des fantômes ?

Le cinéaste livre un portrait intime du foyer dans lequel son cinéma a émergé, autant dans la maison conçue comme moyen d'émancipation pour une nouvelle vie par sa propre mère, ce qui offre dès lors une lecture fascinante au combat politique du personnage lumineux interprété par Sônia Braga dans Aquarius (2016). Tous les films du cinéaste, bien qu'ils empruntent la narration et l'univers du cinéma de genre, sont traversés par la dimension autobiographique et ces Portraits fantômes (Retratos fantasmas) en offrent de nombreuses clés de lecture.

Le cinéaste conjugue avec perspicacité images d'archives personnelles et images de l'histoire de sa ville pour partager en toute complicité avec son public son regard politique sur des dynamiques architecturales qui n'ont jamais rien d'anodines quant aux orientations politiques d'un pays. Ainsi, il révèle qu'une salle de cinéma a pu remplacer une église anglicane tandis qu'une autre salle de cinéma peut devenir à son tour ces dernières années une église évangéliste, témoignant ainsi du sens donné dans le besoin de faire communauté et s'ouvrir au monde dans le Brésil contemporain. En effet, l'évangélisme politique au Brésil qui a remplacé depuis les années 1980 le catholicisme s'est en effet illustré jusqu'à la symptomatique présidence de Bolsonaro par la pratique qui consiste à se refermer sur elle-même où le message de communauté fraternelle et universelle sous-entend une transformation comme condition d'intégration. Si le cinéma peut être une ouverture au monde dans sa diversité, il peut aussi être un outil de propagande comme l'illustre l'implication de la UFA, industrie du cinéma allemand sous l'égide du ministre de la propagande nazie Goebbels, qui a construit une salle de cinéma pour diffuser ses films au cœur de Recife dans les années 1930. Le cinéma est donc éminemment politique et le reste profondément même dans l'intime de l'histoire familiale du cinéaste présentée avec son regard éminemment ludique pour créer une distance critique et casser toute prétention auteuriste nombriliste.

Derrière ce témoignage se profile l'évolution d'une ville avec la précarisation d'un centre-ville déserté qui ne respire plus sa dynamique qui innerve Recife dans son ensemble. Sans nostalgie puisque le passé évoqué rappelle aussi les années de dictature où le cinéma était étroitement surveillé par le régime militaire, Kleber Mendonça Filho questionne aussi bien la place d'une salle de cinéma dans une ville, que du cinéma dans une vie. Il met ainsi en perspective la problématique des lieux de sociabilité pour faire société dans un monde contemporain où la proximité avec un chauffeur Uber favorisée par une application sur Internet peut reposer sur une illusion d'optique d'une rencontre aussi fantasmée que les fantômes porteurs d'histoires qui vampiriseraient le regard s'ils ne favorisaient des opportunités d'émotions sociales mises en commun.

Illustration 1
Portraits fantômes Retratos fantasmas de Kleber Mendonça Filho © Urban Distribution

Documentaire
93 minutes. Brésil, 2023.
Couleur
Langue originale : portugais

Scénario : Kleber Mendonça Filho
Montage : Matheus Farias
Musique : Tomaz Alves Souza
Ingénieur du son : Guma Farias
Sociétés de production : CinemaScópio, Vitrine Filmes
Production : Émilie Lesclaux
Production exécutive : Dora Amorim
Coproduction : Silvia Cruz, Felipe Lopes
Distributeur (France) : Urban Distribution / Dean Medias
Sortie salles (France) : 1er novembre 2023

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