Billet de blog 26 mars 2014

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Dans la section Panorama (Re)voir, où se trouve un choix de films latino-américains ayant un distributeur en France, se trouve un film hors du commun, Prix de la mise en scène au festival de Cannes 2012 :  Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas.Juan vit dans un petit paradis vert à la campagne dans une charmante maison, avec son épouse attentionnée, ses deux jeunes enfants, et entouré de personnes à son service. Mais la frustration est latente. Quelle sera la lumière qui l’éclaira après cette traversée des ténèbres ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la section Panorama (Re)voir, où se trouve un choix de films latino-américains ayant un distributeur en France, se trouve un film hors du commun, Prix de la mise en scène au festival de Cannes 2012 :  Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas.

Juan vit dans un petit paradis vert à la campagne dans une charmante maison, avec son épouse attentionnée, ses deux jeunes enfants, et entouré de personnes à son service. Mais la frustration est latente. Quelle sera la lumière qui l’éclaira après cette traversée des ténèbres ?

Chaque œuvre cinématographique de Carlos Reygadas est une expérience unique, sans commune mesure et qui ne peut laisser indifférent, créant parfois un certain malaise à réveiller une conscience enfouie au fond du spectateur. Le spectateur est en effet invité à expérimenter un autre regard sur le monde. En cela, l’artiste implique le spectateur dans son œuvre, tel un art vivant qui a besoin pour être de la participation de tout ce qui l’entoure. D’ailleurs, cela semblerait s’appliquer au moment du tournage même : en effet, Carlos Reygadas possède cette sensibilité qui fait qu’il sait enregistrer les phénomènes qui dépassent l’entendement, la simple rationalité humaine. Il se rapproche en cela d’Apichatpong Weerasethakul qui lui aussi dans son Oncle Boonmee avait réussi à donner à sentir des fantômes et toute une mythologie d’une toute autre culture inconnue de la plupart des spectateurs. Le talent du cinéaste est de témoigner de l’indicible. On ne s’étonnera pas de ne pas pouvoir cadrer entre quatre points le contenu narratif précis de Post Tenebras Lux. Ceci permet de revenir sans cesse sur ce film pour s’en nourrir et en apprendre parallèlement autant sur soi-même (voire même davantage) que sur ledit film.

Dès la première scène d’ouverture, où apparaît une enfant de 18 mois jouant en extérieur, le regard est modifié (comme la lentille de la focale de la caméra d’ailleurs), comme si le spectateur n’avait jamais vu un enfant auparavant. Tout se passe comme si la caméra avait réussi à saisir la présence intrinsèque même de cet enfant et de ce que peut signifier l’enfance en général, et à travers elle une certaine idée de l’innocence. Ceci viendra dès lors souligner en contrepoint le personnage central de Juan, dont les êtres et les objets qui l’entourent semblent être en opposition à lui, comme s’il ne pouvait s’affirmer que dans une guerre permanente contre son environnement immédiat. Ceci conduit nécessairement à de la frustration de sa part. À travers Juan, c’est une certaine idée de l’humanité, en particulier une culture que l’on pourrait rapidement et grossièrement appelée « occidentale », par toute sa propension à la prédation permanente comme nécessité de vivre et d’affirmation de soi. Dans ces « ténèbres » (les ténèbres du titre), la prise de conscience de Juan est également celle du spectateur qui pourra user de divers moments surprenants du film comme autant de bribes de lumière amenant un éclaircissement sur ce qui est en train de se passer dans le film comme dans sa pensée personnelle.

On en attendait pas mieux d’une œuvre cinématographique capable de faire naître, entre l’œuvre et celui qui la reçoit, un véritable dialogue, au sens étymologique du terme d’un échange réciproque de deux logiques, deux altérités.

Post Tenebras Lux

de Carlos Reygadas

Avec : Adolfo Jiménez Castro (Juan), Natalia Acevedo (Natalia), Willebaldo Torres (Le Sept), Rut Reygadas (Rut), Eleazar Reygadas (Eleazar)

Mexique - France - Allemagne - Pays-Bas, 2012.
Durée : 114 min

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