Billet de blog 27 juillet 2016

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Entretien avec Natalia Smirnoff, à propos de son film “El Cerrajero”

Après "Puzzle" ("Rompecabezas", 2009) présenté en compétition officielle à Berlin, Natalia Smirnoff est venue en 2014 présenter son deuxième long métrage "El Cerrajero" en compétition au festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse.

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Illustration 1
Natalia Smirnoff © DR

Cédric Lépine : Cette année le festival Cinélatino propose une muestra consacrée aux “femmes de cinéma”: qu'évoque pour vous le cinéma des réalisatrices ?
Natalia Smirnoff : Je ne suis pas favorable à la ségrégation en une section spéciale des films de femmes comme s'il s'agissait d'un cinéma spécial, comme l'on distingue le cinéma policier du cinéma d'horreur. Souvent lorsque je regarde un film je ne peux pas deviner si le réalisateur est un homme ou une femme parce que l'on retrouve des aspects communs. Peut-être que la différence se trouve dans l'importance accordée aux détails. La vision de la femme est plus panoramique alors que le regard masculin est plus focalisé. Je pense que cette sensibilité se retrouve également dans le cinéma. Malgré tout, je n'aime pas du tout la distinction qui peut être faite entre films d'homme ou de femme.

C. L. : On a parlé d'une « nouvelle nouvelle vague du cinéma argentin » au début des années 2000. Or, celui-ci a été porté internationalement par les talents des femmes telles que Lucrecia Martel, vous-même, Lucía Cedrón, Lucía Puenzo, Anahí Berneri, Julia Solomonoff, Celina Murga... Comment l'interprétez-vous ?
N. S. :
Il est vrai qu'il existe de nombreuses femmes cinéastes actuellement en Argentine. Je pense que cela est aussi la conséquence du développement des écoles de cinéma. Lorsque j'ai commencé à travailler comme assistante à la réalisation, le monde des cinéastes était quasi exclusivement masculin (environ 80% d'hommes). De nos jours, les proportions ont changé, non seulement à la réalisation mais aussi à la production, au scénario. Je pense que cela a un rapport avec la persistance : les femmes sont en général très constantes et cette persévérance a fini par donner ses fruits.

C. L. : En ce qui concerne le regard féminin, dans El Cerrajero le personnage central masculin est entouré par deux personnages féminins aux rôles tout à fait distincts mais déterminants : comment avez-vous réussi à créer un équilibre entre la sensibilité de ces personnages ?
N. S. :
Pour moi, l'histoire entre Mónica et Sebastian est un peu en hors champs, car elle est racontée du point de vue de Sebastián. Il m'importait que le film ne repose pas sur leurs relations mais se situe plutôt du côté de l'histoire d'un homme qui entre dans un processus où il sera en mesure de devenir père. Et avec ses visions, il se passe beaucoup de choses pour cet homme. Pour moi la paternité, à la différence de la maternité qui est vécue physiquement avec des nausées, des douleurs, etc., contraint un homme à se faire à cette idée. Le père doit longtemps imaginer qu'il sera père avant de s'en convaincre tout à fait. Le film procède de cette problématique du père mais de manière plus exagérée. Sebastian est amoureux de Monica, mais il ne peut pas le voir et ne peut donc pas le vivre.

Illustration 2
"El Cerrajero" de Natalia Smirnoff © DR

C. L. : Dans le film, il semble que c'est la passion de Sebastián pour la musique qui l'empêche de prendre en considération ses sentiments, répétant l'histoire de son propre père qui s'est isolé du monde par passion de la musique.
N. S. :
Sebastián semble avoir les mains liées comme si sa propre boîte à musique intérieure ne fonctionnait plus. Il s'enferme en cherchant à trouver le son parfait qu'il ne peut pas sortir de lui-même. Ainsi, je pense que Sebastian est tout d'abord incapable d'extérioriser sa passion.

C. L. : Pouvez-vous parler de la relation de Sebastián avec son père ?
N. S. :
Leurs relations ne sont pas parfaites mais ils parviennent à se pardonner. C'est un père qui a abandonné son fils très jeune et ce fut douloureux également pour lui. Il est à présent malade, un peu bizarre, mais au final vraiment humain. Il y a un âge ou l'on ne pardonne plus les erreurs et un autre où l'on commence à les pardonner. Je me souviens m'être inspirée de ma propre relation avec mon père pour écrire cette scène. Le temps passe, c'est inexorable et il faut un moment entre enfant et parents pour se retrouver, on ne peut pas l'éviter.

C. L. : Dans El Cerrajero, vous travaillez une nouvelle fois avec Arturo Goetz et María Onetto : est-ce être comme dans une famille à tourner ainsi avec des personnes avec lesquelles vous vous sentez certainement en confiance ?
N. S. :
Pour moi, diriger des acteurs a beaucoup à voir avec le fait de les connaître. Le grand problème est la communication. Quand on n'a peu de temps pour diriger sur un film à faible budget, il est essentiel de pouvoir connaître les acteurs pour mieux les accompagner dans leur relation à leur personnage. La relation que j'entretiens avec les acteurs est toujours très intime. Nous continuons de travailler ensemble. C'est toujours très touchant ce que donne un acteur dans un film et qui est comme une partie de son âme.

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