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Cédric Lépine : Comment avez-vous découvert Hugo Blanco et pourquoi avoir senti la nécessité d'en parler dans le monde d'aujourd'hui ?
Malena Martínez Cabrera : Je ne suis pas partie de l'importance d'Hugo Blanco pour en faire un film mais plutôt de ma curiosité à le connaître. J'avais commencé à entendre son nom avec mon père qui avait fait d'Hugo Blanco un héros de jeunesse qui incarnait l'espoir en un grand changement social. Mon père avait travaillé dans la réforme agraire, projet politique je connaissais peu car je n'ai pas vécu avec mon père, quant à ma mère, elle est issue d'une famille de propriétaires terriens. La génération de mon père dans les années 1960 croyait beaucoup dans le changement social et en plus à la révolution armée. C'était l'époque de la Révolution cubaine avec toute son aura d'espérance mondiale. J'ai grandi durant une époque difficile alors que régnait la violence du Sentier Lumineux et la brutale répression militaire.
Les conséquences tragiques du conflit armé ont transformé les figures du passé. Lorsque j'ai été invitée en 1999 à un congrès national des paysans en tant que journaliste, j'ai été très surprise de faire les constatations suivantes : dans une très humble salle d'école, de nombreux paysans de toutes les régions du pays étaient réunis. J'étais ravie d'entendre là chacun s'exprimer avec un accent distinct. J'étais impressionnée de voir à quel point chacun se respectait malgré leurs différences d'opinion : c'était quelque chose que je n'avais jamais vu au Congrès où les politiques se bagarrent sans cesse : cela donne une image très mauvaise de la vie politique. Une personne parmi cette assistance apparaissait comme le plus sage et le plus âgé, tout en n'étant qu'une personne parmi d'autres. J'ai été impressionnée d'entendre à plusieurs reprises des intervenants « comme dit le camarade Hugo Blanco... » Je voyais alors tout le monde de dos puisque j'étais assise au fond derrière eux. Le désir de faire ce film a commencé à cet instant. Je me demandais comment une figure légendaire comme Hugo Blanco qui appartenait au passé pouvait encore être vivant. En outre, comment su image et son discours pouvaient être tan différents de ce que l'on pouvait attendre d'un ex guérillero. Il n'y avait alors aucune violence ici.
C. L. : Vous présentez la légende à travers une description historique avant d'entrer, en une seconde partie, dans une évocation poétique au présent d'Hugo Blanco qui n'a plus rien d'un leader même si la fascination est toujours vive. Hugo Blanco devient alors un homme qui se confond avec la nature ambiante. Pouvez-vous expliquer l'enjeu de cette présentation en deux parties d'Hugo Blanco ?
M. M. C. : Je cherchais à montrer l'autre dimension du leader qui est un homme en chair et en os. Dans la première partie, c'est une figure alors qu'il est un être humain dans la seconde.
Si la nature est très présente dans le film c'est que les luttes s'inscrivent dans des géographies tellement éloignées de la ville où sont théorisées les réflexions politiques. Cette opposition entraîne tellement de difficultés et de contradictions ! Je souhaitais ainsi montrer davantage l'importance de la nature que les paroles théoriques.
Hugo Blanco de son côté a été une espérance politique pour de nombreuses personnes et c'est cela aussi que je souhaitais interroger. Je voulais témoigner de ce que j'avais découvert par moi-même et que j'avais enregistré avec la caméra. C'est vrai que j'ai étroitement associé le corps même d'Hugo Blanco comme un rocher qui surgit de la nature. Dans ce cas, il s'agit de la prison insulaire El Frontón où il a été prisonnier comme différentes figures considérées comme subversives, du président Belaúnde, avant qu'il accède à cette fonction étatique. Hugo Blanco représente une figure subversive, ce qui peut avoir un aspect positif pour certains mais aussi une appréciation très négative pour d'autres.
C. L. : Une forte opposition apparaît entre vous et Hugo Blanco lorsque celui-ci justifie la lutte armée lorsqu'elle est animée par la faim.
M. M. C. : J'ai beaucoup souffert de la lutte armée, ce qui me conduit à être résolument pacifiste. Je ne souhaite pas que le film se limite à la justification ou non de la lutte armée : je veux comprendre les positions de l'époque sans pour autant les justifier.
Lorsque je montre une pellicule de cinéma en décomposition, je montre la fragilité du temps et de la mémoire. Au Pérou, souvent, l'expression « luttes sociales » est confondue avec luttes armées : je trouve encore cela incroyable ! Les luttes sociales se font pour le changement social qui peuvent ne rien avoir avec les armes. Encore aujourd'hui au Pérou, quelqu'un qui lutte pour les droits sociaux est suspecté de sympathiser avec le terrorisme. Cette suspicion se retrouve actuellement dans le monde entier. Il y a quelques jours je lisais dans une revue européenne où il était question des écologistes antisystème auxquels étaient attribuées des sympathies de leur part avec le terrorisme !

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