Billet de blog 27 septembre 2025

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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FBAL 2025 : entretien avec Simón Mesa Soto pour son film "Un poète"

Un poète (Un poeta) le second long métrage de Simón Mesa Soto était en compétition officielle de la 34e édition du Festival Biarritz Amérique Latine 2025, en présence du cinéaste. Lors de la cérémonie de clôture, le film s'est vu attribué le prix de l'interprétation décerné à l'acteur Ubeimar Rios dans le rôle du personnage éponyme.

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Simón Mesa Soto © DR

Cédric Lépine : Comment la figure du père est devenue centrale dans le film, du père spirituel rejeté qu'est Gabriel García Márquez pour le protagoniste où encore la difficulté pour lui d'être le père de sa propre fille adolescente ?

Simón Mesa Soto : Je pense que la Colombie comme l'Amérique latine, est une société sans père. L'absence du père est une constante. J'ai moi-même grandi avec ma mère. La composition de la famille d'Óscar est la composition de mon propre foyer entouré de beaucoup de femmes, où Óscar est comme un enfant.

La recherche permanente du père n'est pas quelque chose auquel je pense nécessairement de manière délibérée lorsque j'écris. En revanche, je pense que cela me touche en tant que membre de la société colombienne, car je ressens cette absence commune et beaucoup de gens la ressentent. Je me posais aussi beaucoup de questions lorsque j'écrivais sur mon rôle en tant qu'homme. Je ne suis pas père, mais j'ai peur de le devenir, parce que j'ai peur de reproduire les vices du père dans la société. C'est peut-être un traumatisme que j'ai. Je n'ai pas l'habitude d'aller chez un psychologue mais quand je fais des films, c'est comme si je m'interprétais moi-même, comme si j'allais chez un psychologue et que je suivais une analyse. Ma propre relation avec ma mère est très forte.
L'absence du père est très présente. La relation entre Óscar et Daniela n'est pas autoréférentielle pour moi. Cependant, cette figure m'attire toujours beaucoup. Parce que je ne suis pas père, j'imagine comment je serais. Parce que pour moi, le protagoniste est comme mon alter ego dans 20 ans, sous les traits de ma pire version. Si j'étais père, je serais aussi comme lui : un mauvais père comme mon propre père.
Cédric Lépine : Est-ce que le protagoniste reflète également vos peurs de manque d'inspiration pour accoucher d'une nouvelle œuvre tout en questionnant la légitimité à représenter d'autres classes sociales que la vôtre ?

Simón Mesa Soto : Je vis à Medellín où je suis également né et où je peux vivre comme Óscar. Ma vie est très normale à Medellín. Je travaille aussi comme professeur aussi et j'ai des difficultés en tant qu'artiste. Par exemple, l'une de mes plus grandes craintes concerne la stabilité économique. Le cinéma n'est pas quelque chose qui m'a apporté la stabilité : pour me consacrer au cinéma, j'ai dû sacrifier ma stabilité financière.
Dans l'écriture du scénario, je ne suis pas totalement conscient de tout ce qui sera lu par la suite. Je voulais parler de tout ce que je suis, en tant qu'artiste, mais aussi en tant qu'être humain. Dans ma vie, j'essaye de mettre de côté l'obsession de la reconnaissance pour trouver la lumière dans les petites choses et ne plus avoir peur de l'échec.
Quand tu vis à Medellín, tu es exposé à toutes les classes sociales. Le professeur qui enseigne dans une école très modeste pour l'essentiel me représente. Je peux aussi fréquenter ces milieux tout naturellement, alors que je suis issu de la classe moyenne. En revanche, dans le film il ne s'agissait pas de dépeindre des classes sociales, mais plutôt des personnages.

Quand on fait du cinéma, il est courant en Colombie de dépeindre les classes sociales. C'était aussi un méta-récit, une comédie sur la manière dont un cinéaste, un poète ou un écrivain dépeint ou aborde les classes sociales.

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Un poète Un poeta de Simón Mesa Soto © Épicentre Films

Cédric Lépine : Le fait de tourner ce film en argentique avec une caméra 16 mm renvoie-t-il à la manière des personnages de communiquer entre eux et non pas par SMS avec des téléphones portables mais avec des mots écrits dans des carnets partagés ?

Simón Mesa Soto : Je pense d'abord aux personnages qui me disent comment créer ma créer ma mise en scène. Dans la structure de l'histoire, le cahier a une valeur symbolique devenant un moyen de communication. Autrement dit, entre Daniela et Yurlady, le seul contact était un cahier.
Bien sûr, c'est un film qui parle d'une génération, d'Óscar, de ses frustrations et de son rapport au passé.
Filmer en analogique sur pellicule, c'est un peu représenter l'esprit du poète qui se trouve dans le passé. Même si vous regardez les livres, ils ont l'esthétique du passé, comme le design, évoquant ces livres des années 1990.


Cédric Lépine : L'écriture manuscrite où l'on ressent l'émotion grâce à l'imperfection de l'écriture, se reflète encore sur l'image de la poussière collée sur la pellicule, où ces imperfections parlent aussi de la vulnérabilité de votre personnage.
Simón Mesa Soto : La façon de filmer, pour moi, est très importante. Toutes les décisions de mise en scène doivent soutenir un concept, une idée du film. Je me soucie beaucoup du personnage, de ce qu'il a dans la tête.
Óscar a quelque chose qui le rend instable, c'est un être asocial qui n'a pas de relations sociales normales. Quand on écrit, il faut donner forme à ce personnage. Bien sûr, comme il vit dans le passé, sa tête bouge comme la caméra. Les films gagnent en cohérence lorsque tous les éléments vont dans le même sens.

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Un poète Un poeta de Simón Mesa Soto © Épicentre Films

Cédric Lépine : Est-ce que le ton de la tragi-comédie était une évidence dès le début de l'écriture ?
Simón Mesa Soto : Pour moi, le scénario était saisi avec précision et cohérence. Il n'y avait donc pas de place dans le tournage pour s'écarter du scénario.
La comédie m'intéressait pour faire tout ce que je n'avais pas encore fait et qui n'avait pas de référence. Je voulais chercher une forme qui n'existait pas pour moi. La tradition cinématographique en Argentine, en Uruguay, au Mexique, à Paris, en France permet d'aborder ces thèmes beaucoup plus naturellement, autour de l'homme écrivain intellectuel. La Colombie ne semble pas naturellement porter ces thèmes, car ceux qui sont généralement abordés en Colombie sont liés à une approche sociale. Je voulais aussi m'éloigner de cela et chercher un poète dans le paysage tropical étrange du tiers-monde qu'est la Colombie.
Je voulais faire une comédie parce que je venais de ces drames sombres, et je voulais retrouver l'émotion en faisant un film, jouer avec des choses que je ne connaissais pas. La comédie était donc définie dès le début mais les premières versions du scénario n'étaient pas drôles. Il y a eu environ huit versions du scénario.
À chaque version, je trouvais une nouvelle blague, un nouveau gag. Je me suis permis d'introduire de plus en plus de comédie, en m'intéressant à la personne qui allait voir le film, pas seulement au cinéphile. En Colombie, il arrive aussi souvent que le cinéma ait tendance à être fait pour de très petits groupes.
Je voulais que le film soit quelque chose de plus populaire. Je voulais faire l'exercice d'avoir un public, que le film ne se termine pas dans un festival de cinéma mais qu'il les transcende. Je savais que pour cela, je devais recourir à une narration classique qui consiste à émouvoir, à faire rire, à faire pleurer, à donner au public des structures classiques.


Cédric Lépine : Le film dénonce les œuvres artistiques construites sur les attentes d'un public : qu'est-ce que l'intégrité artistique selon vous ?

Simón Mesa Soto : Souvent, ce que l'on veut faire en tant que cinéaste n'est pas ce que les gens veulent voir, parce que le cinéma est aussi un marché qui a ses propres thèmes. Les films d'aujourd'hui sont davantage portés par des thèmes politiques. C'était aussi important pour moi, je pense, de trouver un moyen de taper du poing sur la table, c'est-à-dire que nous pouvons peut-être aussi raconter ce que nous voulons vraiment raconter, car il y a beaucoup d'histoires qui sont importantes et qui ne doivent pas nécessairement avoir une dimension sociale, ce qui limite beaucoup le cinéaste comme l'artiste en général, à une forme préétablie.

Ma façon de le crier passe à travers le méta-récit, incarné par le personnage de Yurlady, qui est, pour moi, un peu la référence de mes films précédents, comme si je me moquais de moi-même. J'ai fait auparavant des courts métrages sur des jeunes filles comme Yurlady, des acteurs et actrices naturel.les que je sors de leur monde pour les insérer dans mon scénario pour un temps. Il y a là aussi une question éthique et morale de la façon dont on dépeint l'autre. Je voulais en faire une sorte de méta-récit sur la recherche du poète. Souvent, ce que l'on recherche le plus, c'est la reconnaissance de soi de celui qui promeut, et non pas tant ce qu'il veut. Les questions sociales sont importantes, il faut aussi les aborder, mais elles ne doivent pas éliminer d'autres approches.

Quelqu'un comme Yurlady peut parler d'un arbre, du soleil, des nuages, de l'arc-en-ciel, de tout, si c'est ce qu'elle veut. Cependant, le milieu artistique limite cette possibilité de le faire. En tant que cinéaste en Colombie, c'est comme si je devais aborder certains thèmes pour que le film ait de la valeur.

Cédric Lépine : En tant que cinéaste, que signifie défendre la poésie dans le monde actuel ?
Simón Mesa Soto : Ce que je recherchais, c'était le processus de création artistique. Pour moi, la poésie est tout, elle n'appartient pas aux poètes. Je n'ai pas voulu faire un film sur la poésie écrite mais utiliser la poésie pour trouver la poésie dans tout : le cinéma, l'écriture comme la musique. Je ne voulais pas idéaliser la poésie en tant qu'art, mais comme une métaphore de toute création artistique et en particulier le mien, le cinéma. Quand j'avais 20 ans, j'avais une passion fougueuse pour le cinéma. J'aime ce désir de faire du cinéma sans me soucier de rien, comme la vraie poésie. Au fur et à mesure, après 15 ans où j'ai commencé ce chemin, j'ai rencontré l'industrie, l'art du cinéma, qui risquait de m'éloigner du jeune homme initial que j'étais.

Le poète du film est la pire version de moi-même à 20 ans, et j'ai voulu le dépeindre pour ne pas devenir comme lui, mais aussi pour renouer avec le jeune homme que j'étais à 20 ans et retrouver la poésie sur mon chemin, pour comprendre ce qui est important. Car l'art peut rendre narcissique en tant qu'artiste, dans la recherche de reconnaissance et de validation. Il n'y a pas de mal à échouer, et pour moi, il est également important de ne pas être obsédé par le succès dans la vie, mais de rechercher la tranquillité, comme le dit Yurlady, de vivre tranquillement, de vivre en paix et de ne pas être obsédé par la réussite.

L'art peut être magique tout comme la poésie peut être magique. Je ne suis pas poète mais j'ai écrit quelques poèmes que je trouve magiques : ils sont beaux et c'est le plus important. La poésie n'appartient pas aux poètes, elle est quelque chose de beau. Les films ne sont pas parfaits, ils n'ont pas besoin d'être parfaits mais transcendent le temps parce qu'ils ont une valeur. Je pense que l'important est de chercher l'âme dans ce que l'on fait, même si ce n'est pas parfait. Ce processus de recherche de paix et de tranquillité intérieure était importante pour moi et quand je vois le film, je me vois, sans miroir.

Illustration 4

Un poète
Un poeta
de Simón Mesa Soto
Fiction
120 minutes. Colombie, Allemagne, Suède, 2025.
Couleur
Langue originale : espagnol

Avec : Ubeimar Rios (Óscar), Rebeca Andrade (Yurlady), Guillermo Cardona (Efraín), Allison Correa (Daniela), Margarita Soto (Teresita), Humberto Restrepo (Alonso)
Scénario : Simón Mesa Soto
Images : Juan Sarmiento G.
Montage : Ricardo Saravia
Musique : Matti Bye, Trio Ramberget
Son : Eloisa Arcila, Ted Krotkiewski
Direction artistique : Camila Agudelo
Production : Juan Sarmiento G., Manuel Ruiz Montealegre, Simón Mesa Soto, Sociétés de production : Ocúltimo & Medio de Contención Producciones (Colombie)
Coproduction : Katharina Bergfeld, David Herdies, Michael Krotkiewski, Heino Deckert, Kristina Börjeson
Sociétés de coproduction : Majade Fiction (Allemagne), Momento Film (Suède), Film i Väst (Suède), ZDF Das kleine Fernsehspiel (Allemagne), ARTE (Allemagne)
Distributeur (France) : Épicentre Films
Sortie salles (France) : 29 octobre 2025

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