Billet de blog 28 avril 2014

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Des Propriétaires sans maison (de distribution)

Il y a tout juste un an au mois de mai 2013, était présenté dans la sélection de la Semaine de la Critique à Cannes, Los Dueños, de Agustín Toscano et Ezequiel Radusky. Le film n’ayant à cette date pas encore bénéficié de sortie en salles françaises, faute de distributeur, il est bon de connaître ce film à travers les mots d’un de ses réalisateurs : Agustín Toscano. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il y a tout juste un an au mois de mai 2013, était présenté dans la sélection de la Semaine de la Critique à Cannes, Los Dueños, de Agustín Toscano et Ezequiel Radusky. Le film n’ayant à cette date pas encore bénéficié de sortie en salles françaises, faute de distributeur, il est bon de connaître ce film à travers les mots d’un de ses réalisateurs : Agustín Toscano.

Illustration 1
Agustín Toscano et Ezequiel Radusky (de gauche à droite) © Lamachere / Semaine de la Critique

Comment votre expérience du théâtre a contribué à concevoir votre film ?

Agustín Toscano : Nous avons fait des œuvres de théâtre parce que nous n’étions pas satisfaits de ce qui s’y faisait. De la même manière, nous avons fait du cinéma parce qu’il n’y avait pas eu de films à Tucuman depuis trente ans. Nous avons commencé par écrire les personnages et définir notre mise en scène à leur égard. Avant le début du tournage, nous avons constaté que l’esthétique de l’œuvre théâtrale est plutôt cinématographique, la proximité entre acteurs et public est minime. Mais la manière d’éclairer les scènes est propre au cinéma. Nous avons montré aux acteurs de nombreux films afin qu’ils puissent avoir des références de ce que nous souhaitions. Il y a une nécessité pour l’acteur de cinéma d’avoir un jeu beaucoup plus contenu et minimal qu’au théâtre. Une salle de projection ne peut être considérée comme une chambre lyrique. Le cinéma fait appel à d’autres techniques de jeu chez l’acteur, comme par exemple une énonciation de la parole plus douce et limpide.

La préparation du film a duré au moins cinq ans : temps nécessaire pour s’approprier les moyens d’expression propre au cinéma. Quand nous travaillions, nous interprétions chacun des personnages du film afin de les comprendre le mieux possible. Nous avons expérimenté leur ton de voix, leurs attitudes. Nous avons cherché sur le tournage que le chef opérateur, le directeur artistique et les acteurs poursuivent un dialogue permanent entre eux. Cela permettait de comprendre le rôle et le point de vue de chacun créant ainsi une très belle dynamique de création, que l’on trouve également au théâtre.

La maison joue un rôle important dans le film, tel un personnage à part entière : était-ce une volonté dès la première écriture du scénario ?

Cinq mois après avoir commencé à avoir les premières idées du film, nous avons rencontré le lieu du tournage et la maison : à partir de là nous avons écrit le scénario en fonction du lieu. Sur place, nous avions des idées beaucoup plus visuelles du film. Nous nous sommes rendu compte peu à peu que la maison était le personnage intermédiaire entre les autres personnages. À partir du triangle Sergio-la maison-Pia tous les autres personnages se mettent en place. Le lieu nous a permis d’imaginer diverses histoires à raconter. Au moment de la préproduction, le chef opérateur et le directeur artistique ont comploté contre moi pour imposer leur choix d’une toute petite maison en face de la grande des propriétaires, pour être l’habitat des paysans : ils avaient parfaitement raison. L’important était le film et non notre propre ego en tant que réalisateurs.

Illustration 2
Los Dueños de Agustín Toscano et Ezequiel Radusky © Rizoma

Vous êtes deux réalisateurs qui signent un même film : comment se répartissent les rôles entre vous ? Avez-vous chacun des tâches prédéfinies ?

Nous sommes en quelque sorte des « jumeaux » sans pour autant être frères. Nous avons suivi la même scolarité depuis le collège. À 18 ans nous nous sommes inscrits dans une école de formation au travail d’acteur. Ensuite nous avons toujours travaillé ensemble au théâtre. Nous pensons qu’un film s’enrichit de nos discussions, même si nous ne sommes pas toujours d’accord. Nous nous sommes déjà demandé pourquoi chacun de nous ne se spécialiserait pas dans un domaine particulier. Mais nous avons beaucoup trop confiance en l’ensemble de l’équipe du film, il est donc inutile que nous commencions à interférer dans leur travail. Nous travaillons donc aussi bien sur le scénario que sur le jeu des acteurs. De nombreuses bonnes idées du film ont surgi de nos propres différences l’un vis-à-vis de l’autre.

Est-ce que vous répartissez des scènes à filmer durant le tournage ?

Non, car être ensemble permet de mettre de côté son ego et d’être en permanence à l’écoute de l’autre. Travailler ainsi à deux permet de se confronter aux idées différentes des autres avec beaucoup de tolérance. Nous ne sommes pas là en tant que réalisateur pour avoir toutes les réponses et donner toutes les décisions : nous pensons que les bonnes réponses aux problèmes posés se trouvent avec l’avis de tous sur un tournage.

Pouvez-vous me parler de Tucuman, lieu du tournage, et de son importance dans le film ?

Quand nous écrivons, nous sommes amenés à réfléchir sur notre manière de vivre. Pour apporter un peu de complexité à notre histoire, nous avons choisi d’intégrer des personnages étrangers à Tucuman. Ainsi Pia vient de Buenos Aires. L’idée est de faire une sorte de western où deux mondes aux cultures différentes s’opposent. Nous demandons toujours à nos acteurs qu’ils conservent leur manière de parler, à la différence d’autres types de cinéma qui tentent de normaliser la langue argentine à la langue usitée à Buenos Aires, comme dans les films de Lucrecia Martel. Nous voulons que les acteurs composent ainsi des personnages crédibles pour le spectateur.

Nous ne montrons pas la ville dans notre ville, néanmoins elle est bien présente dans l’histoire qui se joue entre les personnages. Ainsi, les propriétaires ne cessent de faire des achats à l’extérieur alors que les ouvriers qui vivent sur la propriété se contentent d’être là. Nous avons ainsi tenté de parler indirectement de la ville.

Propos recueillis et traduits de l’espagnol en mai 2013 au festival de Cannes par Cédric Lépine.

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