
Agrandissement : Illustration 1

Loreleï Giraudot : Comment vous êtes-vous répartis le travail pour coréaliser Antes o tempo não acabava?
Fábio Baldo : Nous nous sommes rencontrés en France, à Clermont-Ferrand, en 2011. Nous avions chacun réalisé un premier court métrage. J’ai beaucoup aimé le film de Sérgio, Cachoeira et lui a beaucoup aimé le mien. Il cherchait un monteur et un ingénieur du son. La fin du festival a été l’occasion d’échanger nos idées, d'organiser des projets. Pendant le montage du premier long métrage de Sérgio A Floresta de Jonathas, nous avons commencé à échanger sur le futur scénario. Il avait déjà l’idée de travailler sur les peuples autochtones qui vivent entre la forêt et la ville.
Sérgio Andrade : À ce moment-là, j’avais réalisé trois courts métrages avec des équipes locales. Avec A Floresta de Jonathas, je souhaitais élargir mon équipe, en travaillant avec d’autres personnes ; j’étais très curieux de ce que faisaient mes collègues brésiliens. C'est à ce moment-là que j’ai rencontré Fábio : ça a été une symbiose. Nous avons réciproquement aimé nos travaux et nous avons vu que quelque chose nous unissait, spécialement en ce qui concerne les questions telluriques, relatives à l'énergie de la nature.

Agrandissement : Illustration 2

Cédric Lépine : La question de l’identité de l’homme amazonien a été posée dans d’autres films comme Macunaïma (Joaquim Pedro de Andrade, 1969) mais vous proposez une autre esthétique. Comment s’insère votre représentation de l’Amazonien au sein du cinéma brésilien ?
FB : Le cinéma est né dans la région de Rio et São Paulo ; la cinématographie brésilienne a représenté tout d’abord l’homme du Sud-Est. Ensuite est venu l’homme du Nord-Est, le cangaçeiro, avec Glauber Rocha et le cinéma Novo, puis celui du Sud, avec Nelson Pereira dos Santos mais il y a eu peu de tentatives pour montrer l’homme du Nord. Des documentaires anthropologiques ont été réalisés par des étrangers, mais pas de fiction. A Floresta de Jonathas et Antes o tempo não acabava montrent un cinéma amazonien fait par un Amazonien pour donner à voir les caractéristiques, les goûts, les acteurs, le langage de cette région, de manière beaucoup plus authentique. Cela a également été facilité par les financements gouvernementaux de ces dernières années. Entendre la voix de réalisateurs comme nous a été rendu possible.
LG : Votre film commence comme un documentaire pour aller vers une aventure fictionnelle. Pourquoi avoir joué avec le documentaire et la fiction ?
FB : L’acteur principal, Anderson, qui a le même nom que le personnage, vit les questions posées dans le film. Il y a effectivement un jeu entre la réalité et la fiction. Sont présentes également dans le film différentes ethnies, différentes langues pour créer un champ des possibles. Il y a des moments fictionnels et des séquences documentaires ; la séquence d’ouverture, le rituel, est très naturaliste. Elle a été filmée en un jour avec des acteurs non professionnels. Nous avons laissé faire les choses comme elles étaient.
SA : Notre film est une fiction qui porte les empreintes du documentaire. Le rituel initial est le moteur du film ; il permet de mettre en question l’identité du guerrier masculin. C’est un rite de passage où l’homme doit prouver sa force, sa masculinité. Durant l’écriture du scénario, je me demandais comment ces rituels pouvaient influencer ce jeune indigène après avoir quitté sa communauté, lui qui vit dans un cadre urbain. Existe-t-il une force mystique qui l’accompagne et le pousse à agir ? La question de la sexualité se pose aussi : et s’il était gay ? La forme documentaire se prête à ces questions.
FB : Ces séquences documentaires permettent de créer une logique réaliste avec laquelle il est possible de jouer. Par exemple, la séquence dans laquelle il se maquille avant l’arrivée de l'être de la forêt appartient presque au cinéma fantastique. Nous avons joué avec ces frontières génériques mais il n’y a pas de notice explicative. Je n’aime pas les films explicatifs.
LG : En effet, votre film n’a rien de manichéen ou duel. Les réalités se juxtaposent.
FB : Oui, parce que l’être humain est complexe. Jusqu’à présent, la figure de l’autochtone a été stéréotypée. Il était représenté comme un être mythologique. Nous voulons fuir les stéréotypes et observer les questions qu’il se pose : les questions identitaires, sexuelles, politiques. Ces interrogations suivent des parcours divers : elles sont autant de flèches qui empruntent différents chemins.
SA : Dans l’imaginaire collectif brésilien, l’image de l’indigène est exotique : il est propriétaire de sa terre, il était là avant tout le monde. Elle est aussi négative : il est paresseux. Cette idée est fasciste. Dans ce film, l’important était de montrer un indigène qui a un cerveau, qui vit des conflits, comme n’importe quel être humain.

Agrandissement : Illustration 3

LG : Pourquoi avoir choisi cet acteur, Anderson, qui apparaît également dans Cachoeira ?
SA : J’ai écrit le scénario en pensant à Anderson. J’ai d’ailleurs appelé le personnage comme la personne. J’ai quand même dû faire le casting mais, même si certains acteurs étaient très bons, je ne voyais qu’Anderson. Il a une force intérieure très puissante, une énergie débordante qu’il communique à l’écran. C’est aussi une personne rigoureuse, très professionnelle, qui voulait par ailleurs devenir acteur.
FB : Le vrai Anderson est évangélique et hétérosexuel. Ça a été un véritable défi.
SA : il y a aussi Rita Carelli, qui est la fille de Vincent Carelli, le créateur du programme Vídeo nas Aldeias permettant aux peuples autochtones de se filmer. Elle a participé au casting. Rita a grandi avec les indigènes et connaît très bien leurs codes. Elle a pu également préparer Anderson, notamment pour la séquence de sexe.
LG: Dans la deuxième partie du film, vous posez la question des ONG. Le personnage principal a une attitude ambivalente vis-à-vis de ces organisations. Peut-on y voir une dénonciation ?
FB : La question se pose parce que la réalité des ONG est ambivalente. Beaucoup d’entre elles ont joué un rôle important pour l’intégration sociale des Amazoniens et d’autres ont profité des subventions et des peuples pour leur propre croissance, pour leur promotion. Certaines abusent des peuples autochtones. C’est pour cela que la discussion est ouverte dans le film.
Entretien réalisé à Toulouse en mars 2016 pendant le festival Cinelatino, par Loreleï Giraudot et Cédric Lépine, avec la traduction de Muriel Pérez.