Billet de blog 28 novembre 2015

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Un désert lacustre au Mexique, ou la métaphore d’un régime politique

Le petit village de San Marcos dans l’État du Sinaloa au nord-ouest du Mexique est inondé six mois de l’année en raison de la construction d’un barrage. Des trois cents familles, le village n’en compte plus que trois. Les maisons délabrées et abandonnées font de ce lieu un village fantôme et il n’est pas anodin que le film commence avec un homme muet sur sa barque emmenant le spectateur à l’instar

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
losreyes4 © Venado Films

Festival Viseur à Paris : Los Reyes del pueblo que no existe de Betzabé García

Le petit village de San Marcos dans l’État du Sinaloa au nord-ouest du Mexique est inondé six mois de l’année en raison de la construction d’un barrage. Des trois cents familles, le village n’en compte plus que trois. Les maisons délabrées et abandonnées font de ce lieu un village fantôme et il n’est pas anodin que le film commence avec un homme muet sur sa barque emmenant le spectateur à l’instar d’un Charron conduisant les âmes des morts dans l’Au-delà. Car ici, rien ne rappelle les activités spécifiques de la vie d’un pays. Ainsi, la fabrique à tortillas tourne sans clientèle, une femme entretient une église où n’aura lieu aucun office à l’image, etc. Betzabé García pour son premier long métrage signe un portrait de l’invisible stupéfiant, réussissant à capter les fantômes du lieu. Le scénario est à cet égard d’une limpidité ahurissante, développé au rythme de la vie (ou non-vie) du village. Les teintes dominantes sont bleutées créant une atmosphère crépusculaire propice à faire surgir « l’âme des absents ». Peu à peu apparaît également en parallèle l’omniprésence de la peur et la situation catastrophique en hors-champ d’un système politique entretenant la multiplication des morts au quotidien dans le cadre d’une véritable guerre civile inavouée. Ainsi, le village devient la métaphore d’un pays tout entier dominé par la peur et dont les citoyens auraient fini par déserter l’espace public des décisions politiques, n’ayant plus aucune foi en son gouvernement. La résistance de ces quelques familles à San Marcos, le « 1% » de la population initiale, peut interroger quant à ses motivations : la caméra le saisit avec patience et humanisme. La cinéaste Betzabé García a fait sienne la sensibilité de sa caméra pour traduire au plus près la réalité de ce village, dont les fantômes palpables ne sont pas loin de l’atmosphère d’un film d’Apichatpong Weerasethakul. On est donc bien loin d’une caméra sordidement misérabiliste comme une caméra de la télévision nationale mexicaine en aurait été capable. Betzabé García dans l’écriture de son scénario, que celui-ci ait été pensé au préalable ou créé sur la table de montage, a privilégié l’approche progressive du village, invitant à découvrir au fil du film les habitants de ce lieu. Ceux-ci ne se livreront véritablement qu’au terme du récit documentaire, à travers une parole libérée qui témoigne avec une touchante ironie qu’ils sont devenus les « souverains d’un village qui n’existe pas ». Le propos politique irriguant inlassablement le film, on peut aisément interprété aussi dans cet intitulé le destin des élites au pouvoir méprisant leurs concitoyens.

Illustration 2
poster-reyes-11

Los Reyes del pueblo que no existe

de Betzabé García

Documentaire

83 minutes. Mexique, 2015.

Couleur

Langue originale : espagnol

avec :  Irineo Osuna Enciso, Ramiro Osuna Moreno, Cipriano Osuna Sánchez, Paula Sánchez Osuna, María Aura Zazueta Lamphar

scénario : Betzabé García

images : Diego Tenorio

son : Christian Giraud

montage : Gabriel Herrera

musique : Los jalapeños de Jairo Rojas

production : Ruta 66, Venado Films

producteurs : Betzabé García, Hugo Espinosa

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.