
En octobre 2014, Harold Torres, protagoniste principal et producteur du film González de Christian Díaz Pardo, était venu présenter ce premier long métrage en compétition à Paris dans le cadre du festival Viva Mexico. Il était également accompagné de Laura Pino, également productrice avec leur société de production commune Chacal Filmes et de l’acteur Carlos Bardem, qui lui donne la réplique. Avant d’entrer plus en détail sur le film en conversant Carlos Bardem, cet entretien avec Harold Torres est l’occasion de faire le point sur sa filmographie et sa vision personnelle du métier d’acteur.
En à peine dix ans, tu as déjà joué dans plus de trente films : des courts, longs et des séries télévisées. Comment s’explique une telle activité ?
Même s’il y avait un premier court métrage en 2006, en vérité mon premier vrai premier film dans lequel j’ai joué date de 2007 : Como no te voy a creer. À cette époque, après quatre ans et demi d’études, alors que je n’avais pas terminé ma formation au métier d’acteur, j’eus l’opportunité de jouer dans un film et puis un autre sans discontinuer. Il s’agit de petits ou de moyens rôles. À la fin de l’année 2007 j’ai tourné dans Espiral et en 2008 sur une période de 6 mois j’ai joué dans sept films. Peu à peu j’ai eu accès à des rôles plus important comme le premier rôle dans Norteado de Rigoberto Pérezcano. Ensuite j’ai décidé de faire une pause et de ne plus rien faire en 2008. En 2009, j’ai voulu poursuivre mon travail d’acteur et j’ai pu jouer dans A través del silencio de Marcel Sisniega. Je pense que la liste des films d’une filmographie dépend d’une bonne dose de chance. J’ai en effet bénéficié de plus d’opportunités que d’autres acteurs qui travaillent davantage leur interprétation et sont de meilleurs acteurs que moi. Mais je ne pouvais pas refuser les propositions qui s’offraient à moi. Il est vrai que je travaille beaucoup, passant rapidement d’un film à un autre, mais ce sont des projets qui m’intéressent énormément. Ce n’est que depuis quelques temps seulement que je commence à renoncer à certains projets. Je suis pris dans une ambiguïté de choix entre travailler moins ou plus. Il est vrai que j’ai besoin de ressources financières, ce qui m’amène à travailler pour la télévision, afin de soutenir des projets comme González par ma composition artistique mais aussi en tant que producteur avec Laura Pino.

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Tu as participé à des productions distinctes parmi lesquelles se trouvent les films des auteurs mexicains les plus exigeants et les plus talentueux à l’heure actuelle : Julián Hernández, Nicolás Pereda.
Ce qui m’intéresse au premier chef c’est de travailler dans le cinéma que j’aime voir. J’aime être confronté à des risques, aussi bien en tant que spectateur que comme acteur. Je ne crois pas qu’il y ait une véritable formation au métier d’acteur, puisqu’il n’y a pas de recettes qui peuvent se répéter d’un film à l’autre. Certaines interprétations demandent plus de « naturel », d’autres plus d’élaboration, plus de réactions immédiates à jouer les scènes. Avec Nicolás Pereda par exemple, nous arrivons sur une scène sans connaître le scénario : il propose certaines pistes à travailler aux acteurs. Ceci génère différents types de confrontation du film avec soi-même et non pas du film avec le personnage. Avec d’autres films d’autres réalisateurs, le personnage est le plus important, c’est pourquoi tout le travail de l’acteur consiste à le créer. Selon moi, la mise en scène de Nicolás Pereda permet d’entrer dans le rôle sans créer de personnage. C’est là un très grand risque puisque parfois on peut être amené à ne pas comprendre le cinéaste. Mais ceci me pousse non seulement à le comprendre, mais aussi à être attentif à sa mise en scène, ses choix d’images, le type d’interprétation qu’il cherche, etc. Il est évident pour moi que jouer dans ce cinéma d’auteur est très valorisant. J’ai rarement joué dans du cinéma commercial. Les plus grosses productions auxquelles j’ai participé sont Colosio de Carlos Bolado où j’avais un rôle important, à la différence de Rudo et Cursi de Carlos Cuarón où j’apparais à peine quelques secondes, comme c’est le cas de très nombreux autres films. Ces derniers ne sont pas de véritables engagements de ma part à la différence de González, Norteado, La Cebra de Fernando Javier León Rodríguez, films dans lesquels on m’a donné l’opportunité de réellement travailler mon interprétation. C’est dans ces films que je me sens le mieux. La manière de produire ces films est d’ailleurs souvent semblable. Dans les autres films où mon investissement est beaucoup moindre alors que mon rôle est important sans jouer le personnage principal, je me rends compte que chacun remplit sa tâche sans davantage de communication et d’échange. L’implication que j’ai eu dans González en tant qu’acteur et producteur est bien plus intéressant. J’ai la chance de pouvoir bénéficier du soutien des cinéastes pour faire les choses les plus intéressantes.
Je voudrais également ajouter que la majorité des films dans lesquels j’ai joué sont des premiers longs métrages. Ceci me permet d’être dans la dynamique de la découverte et de l’expérimentation. Il y a tout un chemin à parcourir avant d’arriver à la voix de l’auteur derrière un écran. Il est motivant de pouvoir voir apparaître de nouveaux auteurs de cinéma avec lesquels on continue à travailler par la suite.
Dans les films de Julián Hernández et Nicolás Pereda dans lesquels tu as joué, il ne s’agissait pas de premiers longs métrages : en as-tu profité pour connaître leur univers en découvrant leurs films précédents ?
J’ai vu le premier long métrage de Julián Hernández Mil nubes de paz cercan el cielo, amor, jamás acabarás de ser amor et je l’ai beaucoup aimé. Ainsi, lorsque le casting de Rabioso sol, rabioso cielo a commencé, j’ai auditionné et j’ai été retenu. Il est vrai que connaître ses films m’a permis de connaître ce qu’il recherchait durant le tournage. Avec Julián Hernández nous avons continué à travailler ensemble lorsqu’il réalisa l’un des segments du film Sucedió en un día (2010). Nous avons eu de longues conversations ensemble : connaître ainsi un cinéaste est important pour moi avant de tourner sous sa direction.
Je connaissais Nicolás Pereda de réputation car j’avais entendu parler de ses films et nous nous étions déjà croisés dans des fêtes. Un jour, Gabino Rodríguez [acteur fétiche de Nicolás Pereda] m’a demandé si je voulais participer à un film la semaine suivante et ainsi a commencé mon travail avec Nicolás Pereda. Avec Gabino Rodríguez, nous venons de la même école et en plus d’être un ami, je le considère comme un véritable maître en interprétation. Son univers a beaucoup à voir avec celui de Nicolás Pereda car son regard est hyper créatif. J’ai été invité à participer au tournage sans avoir lu une seule ligne de scénario : ainsi je suis entré dans le film. Plus tard, lorsque j’ai vu le film terminé et intitulé Verano de Goliat, j’ai compris enfin ce que cherchait Nicolás et le résultat m’a plu. Nicolás Pereda ne s’intéresse pas à la composition de l’acteur qui va créer un personnage. Je pense qu’il est essentiel pour un acteur, en plus de faire du cinéma et du théâtre, de comprendre qu’il existe différentes manières d’être acteur en fonction du film.
J’entends actuellement des acteurs qui critiquent les acteurs non professionnels parce qu’ils leur prennent leur travail. Mais je suis certain qu’aucun acteur ne pourrait être en mesure de jouer comme ce que font les acteurs non professionnels dans les films de Carlos Reygadas et d’Amat Escalante. Je suis convaincu qu’il y a des films pour les acteurs, d’autres films pour les non professionnels et encore d’autres pour des acteurs de premier plan. Je n’aime pas travailler uniquement avec des acteurs professionnels parce qu’il se produit là un autre type de dynamique pour entrer dans le film. Pour moi il est plus important de comprendre le rôle que l’on interprète que saisir la dynamique qui va permettre de tirer le meilleur profit de son interprétation à l’intérieur du film.

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Est-ce qu’il y a des acteurs dans le cinéma mexicain qui t’inspirent dans ton travail ?
Je dois avouer que tout a commencé pour moi lorsque j’ai vu en 2000 Amours chiennes d’Alejandro González Iñarritu alors que j’avais 15 ans. L’expérience en tant que spectateur de ce film a eu un grand impact sur moi. Nous sommes de nombreux acteurs à avoir été marqués par ce film et les interprétations de Gael García Bernal et Gustavo Sánchez Parra. Il se trouve que lorsque j’assistais aux cours pour devenir acteur, Gustavo Sánchez Parra était l’un des professeurs : je me sentais alors très fier d’appartenir à cette école.
Sincèrement, je ne connais pas beaucoup le cinéma mexicain en dehors du cinéma d’aujourd’hui. J’aime beaucoup les acteurs légendaires de l’Âge d’or du cinéma mexicain comme Pedro Infante, Cantinflás, Tin Tán et d’autres classiques qui ont toujours été des références. Nombreux sont les acteurs mexicains dignes d’intérêt mais ils ne m’ont guère influencé. En revanche, je suis davantage influencé par les acteurs avec lesquels je travaille comme Gabino Rodríguez. En plus d’avoir le même âge, ses propositions d’interprétation m’inspirent beaucoup. Je dois également citer Daniel Giménez Cacho qui est pour moi l’un des meilleurs acteurs actuels du Mexique, parce qu’il dispose d’une très grande palette d’interprétation, alors que d’autres acteurs se condamnent à un même jeu récurrent. C’est un monstre de créativité ! Il est capable de changer de jeu en fonction du média où il apparaît, qu’il s’agisse de cinéma, de théâtre ou de télévision. J’ajoute que plusieurs films m’ont influencé, à tel point que ce sont davantage les cinéastes qui ont une influence sur moi que les acteurs proprement dit. Ainsi, Batalla en el cielo de Carlos Reygadas a eu un impact très important sur moi alors que ce ne sont pas des acteurs professionnels.
Je suis également marqué par les interprétations de Richard Burton et je suis fan de Klaus Kinski qui exprime une véritable force à travers une animalité exacerbée. Il m’impressionne d’autant plus qu’à l’opposé de lui mon énergie est plus rentrée. Je travaille devant la caméra avec concision et des petits mouvements. Ma voix elle-même est à un niveau assez bas.