Billet de blog 29 septembre 2014

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Entretien avec Santiago Loza, réalisateur du film La Paz

Cédric Lépine (avatar)

Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Quelle est votre conception de la paix telle que présentée dans votre film ?

La Paix est un désir, non une réalité. Une volonté plus qu'une idée concrète. Vivre en paix est un objectif auquel nous n'arrivons pas, parce que si nous y arrivions, nous serions morts. La paix, comme le bonheur, le calme, sont des états temporaires, passagers, éphémères. C’est pour cette raison qu’ils sont tant appréciés.

La Paz est un film qui m’est très cher, où certains traits réels sont mélangés avec la fiction. Ce film est né de la rencontre avec le protagoniste, Lisandro Rodriguez, dont le film reprend ses lieux et son expérience. C'est un film calme, simple et personnel.

Comme dans Los Labios, on sent ici une grande interaction entre les lieux et les personnages.

Les lieux, les espaces, parlent des personnages. Ce sont des parties d’eux-mêmes. Pour La Paz, la maison où se déroule une partie du film est la maison d'enfance de Lisandro. Le lieu de vie de Sonia, la femme bolivienne, dans le film, est réellement le sien. J’ai pris ainsi quelques éléments de la réalité pour changer celle-ci en récit de fiction. Les lieux témoignent des états d'âme, de classes sociales, de moments du récit. Il en est de même avec la ville de La Paz où finit par arriver le personnage principal : le chaos de la ville s'oppose avec le nom que celle-ci porte. Il y a néanmoins la montagne, un espace ouvert.

Comment considérez-vous le cinéma ? Comme un moyen de rencontrer l’altérité ou comme un reflet de ce que vous ressentez ?

Le cinéma me permet d'avoir un contact que je ne pourrais autrement avoir avec le monde. C'est ma manière d’entrer dans le monde, mon prétexte pour le faire. C’est aussi une manière de chercher un sens après avoir vécu un événement. Filmer, monter, c’est construire un sens, donner un ordre à la vie qui a pour habitude d'être beaucoup plus désordonnée et difficile que dans une fiction.

Illustration 1
Santiago Loza © Laura Morsch Kihn

Comment avez-vous travaillé avec les acteurs ?

Je travaille avec des acteurs qui ont suivi une longue formation ainsi que d’autres qui n’en ont aucune. Mais lors du tournage, je les dirige de la même manière. Nous jouons autour d’un histoire afin de mobiliser l’intuition de l’acteur. Je travaille avec des acteurs de théâtre, qui doivent parfois abandonner certains défauts de l’"interprétation". J'ai besoin de trouver un espace de vérité en chacun d’eux. Les films finissent par se trouver au montage. Lorraine Moriconi est depuis plusieurs années la monteuse de mes films. Son rôle consiste à terminer de découvrir et de polir le travail des acteurs.

Quelles sont ces frontières qui séparent les personnages du film ?

La Paz présente une famille argentine de la classe moyenne proche de la une haute société, bénéficiant d’un confort matériel. Ce confort peut être une source de problèmes. Souvent, la richesse supporte une grande carence émotionnelle. Sans en faire une généralité, notons que parfois l'individu éprouve une insatisfaction profonde à disposer de tout.

Peut-on voir dans la famille de Lisandro un portrait de la classe argentine aisée où il est difficile pour les membres qui la composent de trouver un épanouissement personnel ?

C’est une famille de fiction, poussée à l'extrême. Je ne sais pas si cela peut faire référence à une famille réelle, mais assurément on peut y voir des traits de classe sociale : des comportements, un dégoût, des engagements sociaux qui doivent s'accomplir. Le personnage de Liso n'a pas la force de répondre à ce que l’on attend socialement de lui. Il est vulnérable, ce qui le conduit à assumer l’identité d’individu « déclassé »·

Prenant en considération le cheminement de votre personnage principal, pensez-vous qu’il est nécessaire de franchir des frontières pour faire naître un cinéma personnel ?

Chacun doit sortir des frontières qu’il s’impose lui-même, par commodité. Le cinéma, le fait d’écrire, doit nous mettre en confrontation avec nos propres peurs et limites. Il faut toujours oser faire un voyage à pieds et se permettre de tomber pour mieux se relever et aller de l’avant. Les pires frontières sont intérieures, intimes, secrètes, privées ; ces frontières, ce sont les plus difficiles à franchir. Avec le cinéma et l'écriture, j'ai pu franchir des limites personnelles.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.