Entretien avec Neto Villalobos, réalisateur du film Por las plumas

Cédric Lépine : Peux-tu définir le type de comédie que tu développes dans Por las plumas ?
Neto Villalobos : Je pense que le film est une comédie qu’en Angleterre on nomme deadpan comedy [que l’on peut traduire par « humour pince sans rire », « humour grinçant »]. Ce n’est pas un humour noir mais un humour plutôt soft. L’humour avec lequel je me sens le plus à l’aise et que je pratique quotidiennement ressemble à cela. Ce film est donc à cet égard bien une part de moi-même.
C. L. : Te sens-tu proche des comédies uruguayennes de Pablo Stoll et Juan Pablo Rebella (25 Watts, Whisky) ?
N. V. : C’est bizarre mais le cinéma qui m’a le plus inspiré est celui de Kaurismäki, Kusturica, Buñuel. Il y a peu de temps, j’ai vu Whisky parce qu’un ami uruguayen me faisait remarquer que j’avais beaucoup de points communs avec l’humour de ce film. J’ai également vu 25 Watts et il est certain que cela a pu finalement contribué à m’influencer. En revanche, il ne faut pas imaginer qu’il existerait un type d’humour spécifiquement latino-américain.
C. L. : La comédie provenant d’Amérique latine est l’un des genres cinématographiques les moins connus en Europe, souvent parce que l’humour a beaucoup de mal à traverser les frontières.
N. V. : C’est intéressant car lorsque j’ai terminé le montage du film, je redoutais que le film ne marche pas auprès du public au Costa Rica. Lorsque j’ai montré une première version du film au Work in Progress du festival de Miami, l’humour a fonctionné auprès du public mais j’appréhendais d’autant plus la réception au Costa Rica, car en général la comédie qui fonctionne à l’étranger ne fonctionne pas dans le pays d’origine. Finalement, le film a pu rencontrer son public dans des pays différents où des festivals l’ont accueilli. S’il y a quelques blagues qui ne peuvent être comprises que par les Costaricains eux-mêmes, je pense que le film peut marcher dans le monde entier car il s’adresse à l’être humain en général au sein du spectateur. Même les spectateurs peuvent être très différents des personnages du film, il existe cette connexion d’une humanité partagée.

C. L. : Est-ce la comédie en tant que telle qui t’a poussé au départ à faire ce film ?
N. V. : En effet, depuis le début j’ai cherché à faire une comédie mais avec toujours la peur que cela ne fonctionne pas auprès du public. Mais j’avais besoin d’exprimer cet humour et c’est pourquoi j’ai continué. Le film s’est beaucoup enrichi du travail avec les acteurs non professionnels : le sens comique est le résultat d’un scénario écrit et de leurs propositions.
C. L. : Les lieux et la réalité sociale t’ont-ils inspiré pour faire naître ce type spécifique de comédie ?
N. V. : En général je m’efforce de construire les scènes en fonction des lieux que je découvre. Il est toujours essentiel pour moi de découvrir les lieux et de m’y adapter plutôt que de les idéaliser. J’ai commencé par une étape d’investigation pour repérer les lieux dans lesquels je souhaitais travailler. Ainsi confronté à la réalité, j’ai ensuite modifié plusieurs passages du scénario. Il ne s’agit plus du cinéma classique où l’on construit des décors dans des studios répondant au mieux à un scénario. Je préfère m’adapter aux espaces réels.
C. L. : On peut également voir dans ton film une réalité sociale au Costa Rica à travers le portrait de personnes confrontées à des situations précaires.
N. V. : De mon pays, j’aime beaucoup ses montagnes et ses plages, deux aspects touristiques, mais également un monde abandonné, en situation de décadence. Je cherche à traduire la beauté des espaces les plus populaires et « normaux » que nous sommes tellement habitués à voir qu’on ne les voit plus. Le public costaricain qui n’a pas nécessairement reconnu les lieux du tournage a admis que les situations présentées auraient très bien pu avoir lieu partout dans le pays.
C. L. : Si la réalité sociale n’est pas des plus heureuses, les choix esthétiques du film privilégie des couleurs vives et solaires.
N. V. : J’ai tenté d’utiliser une palette de couleurs à la fois très vive mais également atténuée. Je sentais que cette saturation de couleur allait progressivement s’atténuer. À propos de l’usine abandonnée, cela se réfère à de nombreuses activités absurdes, comme le fait ici de garder une usine où il n’y a rien à garder. Les scènes des combats de coq ont été filmées dans des ateliers mécaniques. Il était essentiel de pouvoir raconter cette histoire dans des lieux d’activités abandonnés, qui ne figurent pas un Costa Rica de carte postale.
C. L. : Workers de José Luis Valle constituait aussi une tentative cinématographique réussie d’établir un humour noir dans un contexte de lutte sociale très fort.
N. V. : Je connais très bien José Luis Valle qui fut l’une des premières personnes auxquelles je fis lire mon scénario. Dans son cas, il s’agit davantage d’humour noir que de deadpan comedy et il en est d’autant plus incisif. Peut-être qu’il y a dans ce type d’humour quelque chose de latino-américain mais nous cinéastes, ne pouvant prendre de la distance avec notre travail, nous avons plus de mal à y voir les liens.
C. L. : Ton film comme celui de José Luis Valle ont en commun de parler de l’aliénation du travail. Les personnages ne trouvent plus de sens dans leur travail c’est pourquoi ils vont la chercher ailleurs, comme ton personnage principal élevant un coq de combat.
N. V. : C’est là une situation internationalement partagée. Je rencontre en effet beaucoup de personnes qui ne font pas le travail qu’elles aimeraient. Ils doivent travailler par nécessité et payer leurs dépenses. Par exemple, lorsque nous avons commencé le casting ouvert à tout le monde, pour la plupart des non acteurs le film devenait presque une manière de réaliser une psychothérapie. Chaque personne avouait avoir fait jusque-là un métier tout en regrettant de ne pas pouvoir en faire un autre. Leur profession ne se réalise pas par passion mais par nécessité. Chacun dispose en parallèle de son travail ses propres rêves et cherche dès lors inlassablement à pouvoir les réaliser. Ces rêves ne sont pas inaccessibles et irréalisables : c’est parfois de modestes envies. Je voulais éviter tout témoignage dramatico-lacrymal sur cette classe sociale afin de préserver un point de vue plus digne. J’ai réalisé un travail d’investigation avec une caméra avant de tourner et je me suis rendu compte que de nombreuses personnes aux revenus économiques très bas pouvait être malgré tout heureuses. L’accès à un confort matériel n’est pas nécessairement synonyme de bonheur et réciproquement leur non accès n’implique pas le malheur. Le bonheur se trouve dans de petites choses du quotidien comme le fait de pouvoir partager des moments avec des amis. En rendre témoignage dans mes films comme dans ma vie est ce qui m’inspire le plus désormais. C’est pourquoi on retrouvera ces préoccupations dans ma prochaine fiction.

C. L. : Au final, la passion d’un homme pour un coq de combat n’est qu’un prétexte pour mettre en avant le grand enjeu face à la crise économique : la solidarité.
N. V. : Dans la vie, on finit par rencontrer d’autres personnes sur lesquelles on peut compter. Je pense parfois à la situation des cinéastes costaricains : nous sommes peu et nous sommes dès lors d’autant disposés à nous soutenir. De même, lorsque nous rencontrons d’autres cinéastes dans un festival de cinéma latino-américain, nous tous qui faisons chacun de notre côté notre propre cinéma indépendant, nous avons l’impression d’être très proches, partageant des situations similaires bien qu’éloignées. Au final, nous luttons quasiment pour les mêmes causes. Dans la vie, à l’instar du personnage principal du film, nous commençons par nous passionner pour une chose pour au final en rencontrer d’autres encore plus valorisantes. Les personnages sont dès lors poussés à éprouver la vie elle-même.
C. L. : Le protagoniste ainsi que son assistant sont très distincts : comme s’est passée la direction d’acteurs ?
N. V. : Comme ce ne sont pas des acteurs professionnels, je ne pouvais pas prétendre les diriger de la même manière. Aussi, j’ai dû utiliser de petits détails dans les scènes afin de pouvoir les inciter à mettre leur personnage en relation. Cela pouvait être par exemple une scène autour d’une bière. Ainsi s’établit une sorte de connexion entre eux. En outre, nous vivions tous ensemble dans une même maison, ce qui permettait de nous connaître et favoriser aisance d’échange l’un à l’égard de l’autre. Autant le casting que l’équipe technique a pu progressivement se connaître. Cette communauté de personnes vivant ensemble le temps d’un film a certes rencontré des difficultés mais surtout a permis d’établir des relations durables entre ses membres. Je souhaitais faire refléter ces connexions à l’intérieur du film. De même, depuis la fin du tournage, eux-mêmes continuent à se voir. Marvin Acosta qui interprète Jasón est similaire à son personnage dans le film. Parfois un peu fou et manquant de sérieux, il constitue un parfait contrepoint à la solitude du personnage principal, le duo ainsi formé contribuant au ressort comique du film.
Entretien réalisé en mars 2014, lors de la présentation du film Por las plumas en compétition au festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse.