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Cédric Lépine : Comment s'est formée l'idée de faire ce film ?
Manuel Nieto Zas : Le film a commencé avec des scènes isolées dont je ne savais pas quoi faire dans un premier temps. Ensuite est apparue l'idée d'un cycle comprenant mon film précédent La Perrera. J'étais un peu perdu entre l'absence de financement du film et des idées assez confuses. J'avais en tête d'un côté les premières scènes du film qui se déroulent dans un milieu militant à l'université où le personnage principal apprend la mort de son père. Et d'un autre côté, je souhaitais développer le film autour de scènes rurales en ajoutant le contexte de la crise économique de 2002.
C. L. : Peux-tu parler de ce thème au cœur du film qu'est l'héritage idéologique et matériel léguée d'une génération à l'autre ?
M. N. Z. : Ce thème vient d'une histoire personnelle. Il y a quelques années, j'ai reçu de mon père un mandat pour exploiter un morceau de terre. Je ne comprenais pas cette décision qui l'amenait également à donner une maison à ma sœur. J'ai compris par la suite qu'il était en train d'organiser sa propre mort de telle sorte que ses enfants ne se battent pas entre eux autour de son héritage. Mon père est toujours vivant et continue à me dire ce que je dois faire avec la terre qu'il m'a légué. Cela m'a fait réfléchir sur cet héritage que l'on reçoit de la génération précédente et qui peut changer ou non la destinée d'une personne. Je me suis alors demandé quel était l'héritage d'un pays en crise. D'un côté, cet héritage amène beaucoup de problèmes mais d'un autre côté, bien reçu, il peut être transformé par la jeunesse. Le film n'apporte aucune réponse mais au contraire lance de multiples questions. Au moment de l'écriture du film, je ne cherche pas à savoir ce qu'il va dire, ce n'est qu'une fois réalisé que je peux proposer certaines lectures.
C. L. : L'enjeu politique du film ne serait-il pas de déplacer un militant universitaire aux revendications vagues à la réalité rurale où la terre devient un nouvel enjeu politique à part entière ?
M. N. Z. : Le film se déroule autour de trois lieux essentiels que sont la maison, les grèves et la pleine campagne. Toutes les grandes idées du militant vont évoluer peu à peu au contact d'une nouvelle réalité. Il va ainsi devenir la personne qui doit prendre en charge de nouvelles responsabilités : c'est pourquoi il porte les vêtements de son père. Il est alors contraint de laisser de côté son romantisme pour passer à l'action. Telle est la vérité de la transformation du personnage dans le film. Je n'ai jamais été militant en revanche je connais bien le milieu rural, c'est pourquoi j'en donne dans le film de nombreux détails, autant visuels qu'émotionnels. Ce que je connais des actes militants me vient d'anecdotes que m'ont rapporté des amis. Il est probable que c'est pour cette raison que les scènes des étudiants en grève sont davantage chargées d'humour et que les personnages apparaissent stéréotypés. Il y a aussi une opposition entre les actes militants de la génération antérieure qui pratiquait la grève de la faim tandis que la nouvelle écoute du rock.

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C. L. : Comment la musique est entrée dans ton film ?
M. N. Z. : La musique apparaît tout d'abord avec le titre pour montrer quelle sera la tonalité du film à venir. Autrement, il n'existe pas de musique qui ne soit pas issue de la réalité vécue par les personnages. J'utilise la musique pour conduire certaines émotions que je veux voir apparaître à un moment donné du film. La musique prend le temps d'émerger quand je filme les étudiants en train de lire, fumer, etc. Je place ainsi le spectateur dans des conditions similaires à un concert. Ainsi, le spectateur a le temps de se plonger dans ce que la musique lui évoque.
C. L. : Le personnage principal semble en permanence en retrait de l'action : comment as-tu choisi cet acteur et comment l'as-tu dirigé ?
M. N. Z. : C'est un ami que j'ai rencontré lorsque j'écrivais la première version du scénario. J'écrivais alors sans avoir d'images précises de ce qu'allait être mon personnage principal. J'ai par la suite commencé à penser à mon ami dans ce rôle, sans pour autant imaginer qu'il pourrait le jouer ni même qu'il l'accepterait. Mais avec le temps, il a décidé d'assumer le rôle en apportant un sentiment profond à l'histoire. Tout d'abord, j'ai pensé que la démarche de l'acteur pouvait donner une attention visuelle du spectateur, ce qui permettait de soutenir autant le personnage que le film. En même temps, je courrais un très grand risque : si le film ne fonctionnait pas, je ne voulais pas que l'on dise que c'est l'histoire d'un handicapé, comme si j'abusais de la condition physique d'un homme qui est en outre mon ami. Lorsque j'ai commencé à le filmer, j'ai senti qu'il devenait le symbole de la lutte : pas celle des étudiants, mais celle quotidienne d'un homme qui devait en permanence faire des efforts pour parler. C'est pourquoi le personnage apparaît en permanence en tension. Cette lutte individuelle faisait alors écho aux autres luttes. Toute mon équipe était contre l'idée que je lui confie ce rôle. Mais cela a d'autant mieux fonctionné qu'il a un visage très photogénique qui a donné des résultats au-delà de ce que je pouvais espérer.
C. L. : Les scènes d'humour qui apparaissent dans le film ont été pensées avec précision à l'étape de l'écriture du scénario ?
M. N. Z. : Dans le scénario, ce sont des scènes très ponctuelles, comme des blagues qu'on lance à un moment précis. Ensuite, elles se sont développées lorsque les acteurs les ont jouées. Si l'on regarde bien, nombreux sont les personnages qui apparaissent sous des traits ridicules : l'écrivain, la femme de la maison, le personnage principal avec tous ses problèmes, le leader syndical et ses postures... Je pense que l'humour est porté aussi bien par les personnages eux-mêmes que le développement dramatique du film où ils sont placés. Pour moi, l'humour est nécessaire, représentant une véritable bouée de sauvetage : si l'on ne peut pas rire de ses propres tragédies, la vie devient impossible ! L'humour est un élément fondamental de la vie et de l'existence. C'est aussi une manière de dédramatiser le drame du film, avec le moins d'ironie possible afin de respecter les personnages. J'espère que tous mes films garderont une touche d'humour.