Sur le papier, tout est simple. Les négociations sur le climat sont un processus inter-étatique comparable à tous ceux qui ont déjà été organisés par l'ONU. Si un nombre suffisant de pays se mettent d'accord sur un accord ou une convention, celui-ci est approuvée par ceux-ci - sous l'égide de l'ONU - puis soumis à ratification par les parlements ou organes habilitées et enfin mis en œuvre. Des accords comme l'interdiction des mines anti-personnel ou la création de la cour internationale de justice ont été signés par des coalitions d'états, sans les Etats-Unis, et la première phase de négociations sur le climat ressemblait à ce processus : le protocole de Kyoto avait été élaboré par un grand nombre d'états, y compris les Etats-Unis qui, dans une deuxième étape, ne l'ont pas ratifiée, et mise en œuvre à partir de 2005, date à laquelle un nombre suffisant de pays l'avait ratifié.
Mais en pratique ces mécanismes ne fonctionnent plus, et les mécanismes de négociations apparaissent beaucoup plus complexes que ce que les règles de l'ONU prévoient.
La première difficulté porte sur le nombre et la qualité de pays susceptibles de signer un accord. L'accord sur les mines antipersonnel avait pu être signé sans les deux principales puissances militaires de l'époque, les Etats-Unis et la Russie, parce que les signataires considéraient pouvoir se passer de ces armements, n'étaient en rien pénalisés sur le plan économique par cet accord et espéraient que le pouvoir de l'exemple et les campagnes d'opinion aboutiraient à une prohibition généralisée, comme pour l'usage des gaz de combat. Là, à l'inverse, si de grands pays émetteurs de gaz à effet de serre ne signent pas l'accord, le processus de réchauffement climatique se poursuivra et les pays signataires seraient pénalisés par le coût économique des mesures qu'ils mettraient en œuvre. En pratique tout se joue sur l'implication des pays du G20 qui représentent 80% des émissions de gaz à effet de serre et surtout sur celle des Etats-Unis et de la Chine. Certains des principaux signataires du protocole de Kyoto, Japon en tête, refusent ainsi à Cancun de donner une suite à ce protocole si les Etats-Unis ne sont pas intégrés au processus d'une façon ou d'une autre et les pays développés, Etats-Unis en premier lieu, exigent que la Chine s'engage sur une réduction de leurs émissions, ce qui n'est pas prévu par le protocole de Kyoto.
La deuxième difficulté porte sur le champ d'application de l'accord. A Bali, en 2007, le processus décidé avec l'accord de toutes les parties est d'une extrême complexité et met en discussion de nombreuses questions de nature très différentes. Il y a deux processus de négociations parallèles, un sur les suites du protocole de Kyoto et un autre sur les « actions coopératives de long terme », dans la lignée de Rio et qui, surtout, inclut les Etats-Unis. Les questions traitées vont des objectifs de réduction des gaz à effet de serre qui doivent tenir compte des besoins de développement des pays pauvres et de la dette historique des pays développés, aux mécanismes de financement des coûts que les pays en développement auront à supporter pour l'adaptation au changement climatique et la transition vers de nouveaux modèles énergétiques, en passant par les questions de propriété intellectuelle des technologies « vertes », les mesures spécifiques pour la protection des forets, les droits de peuples indigènes, les « mécanismes de développement propre » et les marchés des droits d'émission de gaz à effet de serre et la définition de ce qui relève de mesures contraignantes et le liste des pays concernés par ces contraintes... C'est comme si l'on avait demandé au parlement français de voter une loi unique et non amendable sur la totalité des mesures préconisées par le Grenelle de l'environnement ! Les Etats-Unis dénoncent la difficulté de l'exercice et préconisent des négociations plus ciblées où l'on chercherait à aboutir à des accords sur une ou l'autre des questions. Même si les résultats de Cancun pourraient relever de cette logique - des accords paraissent possible dans deux domaines, la déforestation avec l'accord REDD, et les mécanismes de financement pour les pays en développement, beaucoup de pays sont en désaccord avec cette logique car ils craignent que les sujets qui leur tiennent à cœur ne passe à la trappe en cas d'addition d'accords partiels. En effet la logique de commencer par « qui est partie prenante de l'accord » s'appliquera aussi à ces négociations partielles ce qui donnera aux grands pays émetteurs de gaz à effet de serre, en premier lieu les Etats-Unis et la Chine, un droit de véto absolu, ce qui leur permettra de tricoter des accords à leur convenance, sans prendre en compte les demandes qui ne leur conviendraient pas.
La troisième difficulté, qui tient à la présence de nombreux acteurs non-étatiques dans le processus de négociation, est la conséquence directe de la première. En effet l'obligation d'intégrer à l'accord les grands pays émetteurs leur confère un droit de véto sur tout le processus et leur donne un pouvoir écrasant face aux autres pays. Certains commentateurs ont accusé des pays comme la Bolivie, l'Equateur, le Venezuela ou les états insulaires du pacifique d'avoir « pris en otage » le processus onusien alors que ce sont avant tout les difficultés de l'administration Obama sur ce dossier et les désaccords entre la Chine et les Etats-Unis qui expliquent l'échec de la conférence de Copenhague. Si le G20 et les grands pays s'étaient mis d'accord sur un texte un tant soit peu solide à Copenhague, la non-signature de la Bolivie ou de Tuvalu n'aurait eu aucun poids, mais c'est parce que l'accord était vicié de l'intérieur que les déclarations d'Evo Morales ou de Hugo Chavez ont eu un impact certain.
On touche là du doigt certaines des caractéristiques de ce type de procédure de décision, où il faut décider au consensus d'accords complexes qui portent sur des enjeux environnementaux, mais aussi industriels, économiques, sociaux et politiques. L'analyse scientifique est en tant que tel un élément important des négociations, les rapports du GIEC servant de base aux décisions en débat. La situation géographique de certains états est également mobilisée dans les discussions, les petits états insulaires, dont le poids politique et économique est très faible dans les arènes internationales, jouent ainsi un rôle symbolique important - leur survie même étant en cause - ce qui explique pourquoi les Etats-Unis et le G20 ont tenus à associer les Maldives à l'accord de Copenhague. Les ONGs et mouvements sociaux enfin peuvent acquérir un poids symbolique dans les négociations dès qu'ils supportent des causes, comme les droits des peuples indigènes ou la défense de la biodiversité, qui ont un écho dans l'opinion publique et participent ainsi de la construction des rapports de force.
Face au rapport de force brut qui voit les grands états avoir de fait tous les pouvoirs, des acteurs mineurs utilisent les rapports scientifiques et le poids symbolique d'une cause ou d'une situation particulièrement dramatique pour construire des alliances hybrides qui leur permet de peser dans les négociations. C'est ce qu'à réussi la Bolivie en organisant la conférence de Cochabamba avec de nombreux mouvements sociaux, groupes indigènes et ONGs en avril dernier, et c'est ce qui explique la présence aux conférences internationales sur le climat de milliers « d'observateurs », issus des mouvements et des ONGs. Officiellement ces observateurs sont là pour convaincre les délégations officielles, mais leurs capacités en ce domaine sont quasi inexistantes ; en revanche les mouvements et ONGs participent à la construction des rapports de force par les campagnes d'opinion qu'ils sont capables d'initier, par leur travail de contre-expertise et par leurs mobilisations militantes.
Les conférences internationales annuelles sur le climat telles sont le théâtre où est mis en scène le jeu de ces alliances hybrides, où des acteurs hétérogènes défendent leurs positions et cherchent à construire des rapports de force leur permettant de les faire avancer. Nous verrons dans quel sens celle de Cancun penchera !