Un an après Copenhague, la bulle climatique enfle encore. Au Moon Palace, où se déroulent les négociations dans un cadre irréel et parfaitement kitsch, loin des rencontres des mouvements sociaux et du sol mexicain, le climat semble chose abstraite, hors sol. Par Geneviève Azam.
Au moment où ce papier est écrit, un premier texte de la présidence mexicaine est présenté comme ébauche de résultat final, dix minutes avant l’assemblée plénière de la conférence des parties, dans laquelle plusieurs délégations se sont inquiétées du manque de transparence de la négociation.
Les objectifs de réduction des émissions réelles ne semblent plus être le sujet central des discussions. Ils sont abandonnés par tous ceux qui ne les atteindront pas et qui savent que leurs propositions cumulées, celles qu’ils ont déclarées sans engagement après «l’accord» de Copenhague, signifieraient un réchauffement global de la planète de de 3°C à 5°C. Mais ils sont aussi abandonnés, au nom du «pragmatisme» : ne pas parler des choses qui fâchent pour avancer sur des sujets précis, la lutte contre la déforestation et la création d’un fonds vert. Soit, mais de la même façon que le néolibéralisme a retourné le mot réforme, en faisant des causes des crises les solutions pour les résoudre, le «pragmatisme» conduit souvent à des solutions qui ne font que poursuivre la dégradation de la planète et de l’atmosphère : la planète réelle mène la vie dure aux bonnes intentions. Agrocarburants, séquestration du carbone, marchés du carbone, attestent les échecs successifs des fausses solutions. Le projet de texte, qui laisse ouvertes plusieurs options pour la négociation, est encore plus imprécis en matière de réduction que celui de Copenhague ; il ne fixe même plus de date pour atteindre l’objectif d’un réchauffement maximum de 2°C ! Le Venezuela et la Bolivie, applaudis par une part de l’assemblée, ont vivement dénoncé ce nouveau recul, relayés par les États insulaires et le représentant du G77 plus la Chine. L’ambassadeur de la Bolivie aux nations unies, Pablo Solon, a souligné qu’aucune négociation officielle n’avait porté sur les chiffres de réduction dans cette première semaine de négociations.
Des marchés du carbone sans le protocole de Kyoto ?
Paradoxalement, le Japon, suivi par d’autres pays de manière plus ou moins explicite, en annonçant clairement sa volonté d’en finir avec le protocole de Kyoto et de renoncer à toute idée de traité contraignant pour les pays industriels, a relancé la discussion. Les pays latino-américains regroupés dans l’ALBA, ont réagi vivement, en signifiant à la fois leur volonté d’avancer dans le processus de négociation et l’impossibilité de le faire sans un cadre qui délimite les responsabilités et les engagements et permette une nouvelle phase d’engagements pour les pays industriels après 2012. L’Union européenne manie toujours le double discours : une volonté affichée de s’engager dans une deuxième phase du protocole, d’«examiner» la poursuite du processus tout en demandant un accord contraignant engageant les «plus grandes économies du monde». Autant dire, un renoncement au contenu du protocole, dans sa partie la plus politique : la reconnaissance de fait d’une dette écologique des pays industriels. La préoccupation européenne est ailleurs : sauver du protocole les mécanismes de flexibilité et le marché du carbone dont l’inefficacité écologique est pourtant attestée par de nombreux rapports.
Le fonds vert en panne
La bulle atteint précisément son comble en matière de financement de la lutte contre le changement climatique. La crise financière aidant, les négociations se poursuivent sans qu’un centime réel soit posé sur la table et sans rien ajouter de plus que ce qui était conclu à Copenhague. On parle donc de sommes virtuelles, qui en l’absence d’engagements des États, ne pourraient venir que de la réorientation d’aides déjà existantes ou du secteur privé, via les marchés du carbone notamment. Les pays du Sud demandent un engagement financier obligatoire et additionnel des États de l’ordre de 1,5% du produit national brut. Mais pour cela, des ressources nouvelles doivent être levées ; c’est pourquoi une taxe sur les transactions financières, qui ne fait pas partie des discussions du Moon Palace, permettrait à la fois la lutte contre la spéculation et la possibilité pour les États de retrouver des marges de manœuvre pour le financement de l’adaptation au changement climatique et de la réduction des émissions.
La Banque mondiale aux avant-postes
Et ce qu’on appelle le pragmatisme est soumis à rude épreuve face à l’intransigeance de la finance internationale, qui par des canaux divers, refuse de voir la création d’un fonds vert mondial sous la responsabilité des Nations unies : la Banque mondiale pourrait être définitivement promue comme administratrice de ce fonds. Autant dire que cette position est inacceptable pour plusieurs raisons : cette banque ne finance que des projets de grande taille financière, excluant donc les milliers de projets locaux sans lesquels la transition ne sera pas possible, elle est engagée dans des projets désastreux sur un plan écologique et social et constitue plutôt le problème que la solution ; enfin cette institution n’est qu’un canal financier qui pratique des prêts au lieu des dons pourtant essentiels pour tous les pays, déjà souvent très endettés et qui doivent de surcroît se battre contre les catastrophes climatiques, dont ils ne portent pas la responsabilité.
À moins d’attendre l’éclatement de la bulle avec des catastrophes majeures, le retour du réel et celui d’un véritable pragmatisme ne pourront se réaliser que par la pression des sociétés et des mouvements sociaux, présents ici loin des négociations. Une présence paradoxale dans cette ville véritable enclave ou plutôt verrue transnationale.
Geneviève Azam, conseil scientifique d’Attac-France