Alors que les chefs d'État et de gouvernement, ou leurs ministres, arrivent progressivement dans l'improbable station balnéaire mexicaine, les esprits s'échauffent et Nostradamus et mesdames Soleil des COP font enfler rumeurs et prophéties.

La rumeur du jour (mercredi) : le Kenya a du se dédire de la position qu'il a diffusée hier (mardi) sur l'avenir du Protocole de Kyoto, qui allait contre la position commune du groupe des pays africains. Alors que les gouvernements africains restent unis pour exiger une seconde période d'engagements contraignants de la part des pays riches, le Kenya avait sorti un texte affirmant l'impossibilité d'y parvenir. Texte qui avait été en réalité écrit par un technicien.... japonais. Plus précisément un conseiller du gouvernement kenyan sur les questions économiques mis à disposition par la coopération japonaise. Dont le gouvernement a justement, en fin de semaine dernière, proclamé son souhait d'en finir par Kyoto.
Hier midi, des organisations de la société civile africaine tenaient conférence de presse pour enjoindre leurs représentants de ne pas céder à la pression et de rester unis.
On sait maintenant quels chantages ont exercés les Etats Unis, par l'intermédiaire de Meles Zenawi (Premier ministre de l'Ethiopie et responsable en exercice de l'Union africaine), sur les gouvernements africains pour qu'ils signent l'accord de Copenhague après la COP15. Or il semble que l'Éthiopie poursuive son jeu de pression sur la République démocratique du Congo (qui préside le groupe africain) et le Malawi pour faire plier le groupe des pays africains sur leurs demandes incompressibles, qui reviennent sur l'accord de Copenhague signé sous contrainte.
Mais les pays africains semblent tenir bon. Aux côtés des pays de l'ALBA ils continuent de refuser l'intrusion de la Banque mondiale dans l'organisation et la gestion du fonds d'adaptation pour les pays en développement, de défendre l'idée de financements publics et nouveaux par rapport aux dispositifs existants et de conditionner tout accord à l'engagement des pays riches dans une seconde période d'engagement post-Kyoto.
Le message collectif est clair, rappelé par Martin Khor (proche de la Chine) lors d'une conférence de presse mercredi après-midi : les pays en développement sont unis et font front commun, et aucun accord ne sera possible s'il ne réunit pas ces conditions. On murmure toutefois que des failles existent : par exemple les Etats caraïbéens hésitent à s'engagent contre la Banque mondiale car son rôle dans la gestion des fonds dégagés dans le cadre de l'accord de libre-échange entre l'UE et le CARIFORUM est fondamental, et ils craignent des mesures de rétorsion.
Pourtant Robert Zoellick, le directeur de la Banque mondiale, arrive aujourd'hui à Cancun : il rejoint la COP16 pour annoncer la création d'un nouveau fonds qui servira à promouvoir la création de marchés carbone dans les pays en développement. Après le FMI botoxé par la crise financière, c'est la Banque mondiale revient en force, par la fenêtre de la finance-climat.
En fait la Banque mondiale gère déjà une douzaine de fonds liés au climat, pour une valeur approximative de 2,5 milliards de dollars, qui impliquent principalement les pays émergents (Chine, Inde, Mexique, Brésil par exemple). Dans les négociations pré-Cancun, les pays riches ont cherché à renforcer le rôle de la Banque mondiale, et défendent notamment l'idée que la Banque prenne en charge le fonds pour l'adaptation. Déjà, sur la petite dizaine de milliards de dollars dégagés suite à l'accord de Copenhague, près de la moitié a été confié à la Banque mondiale.
Or les pays en développement ont une confiance très limitée dans l'institution de Washington, assimilée à raison aux plans d'ajustement structurel qui les ont dévastés dans les années 80 et 90, et ultra engagée dans le financement des grands projets d'extraction et de valorisation des énergies fossiles.
La pression des pays industrialisée est intensive. Une négociatrice latino-américaine raconte la subir quotidiennement lorsqu'elle défend la position de son gouvernement dans le « contact group » sur le fonds d'adaptation. Les gouvernements qui résistent sont accusés de fusiller l'ensemble du processus et d'être responsables d'un échec imminent. Si la présidence mexicaine martèle qu'il n'y a ni discussion secrète ni manœuvres de pression, la même négociatrice nous explique que des réunions « bis » se mettent en place une fois la réunion officielle ajournée du fait des gouvernements jugés non constructifs.
Du côté des pays latino-américains, l'unité est de mise sur une position très radicale, refus du REDD+, refus des marchés carbone et de la Banque mondiale dans les nouveaux dispositifs de financement, accord contraignant. Mais le Président Correa serait prêt à transiger sur le REDD si l'on en croît des propos tenus « off the record » et rapportés par des ONG hier.
Dans ce crépuscule, fébrile, fatigué, personne ne peut sérieusement prédire l'issue de la COP, attendue demain soir. Accord ou pas accord est-ce vraiment la question d'ailleurs ? La question est surtout celle du point d'équilibre politique qui en résultera. On spécule déjà sur le risque « Cancunhagen » : un autre accord, sensiblement identique, avec quelques éléments nouveaux mais ni opérationnels ni contraignants sur le REDD+ et la question des financements. C'est la position des BASICs qui emportera la décision. De leur point de vue, la création d'un nouveau fonds, sans autre élément sur les sources et les canaux de financement, pourrait suffire à éviter un échec franc, et empêcher un nouveau clash politique Nord-Sud.
Ce matin la Bolivie dénonce à nouveau l'existence d'un processus de discussion secret au motif que les propositions issues de Cochabamba, et portées par le gouvernement bolivien, disparaissent systématiquement des textes en discussion. Evo Moralès donnait le ton hier en plénière de la COP : « Nous sommes venus ici pour sauver la nature, les forêts, la planète terre, et pas pour convertir la nature en marchandise, ni pour relancer le capitalisme grâce aux marchés carbone ».
Nul doute que les mouvements sociaux lui feront bon accueil cet après-midi, lorsqu'il investira le campement de la Via Campesina.