Conclue il y a quelques heures sur un accord minimaliste et croupion, "accord" qui ne règle aucun désaccord, la COP16 a baissé rideau dans une ambiance survoltée, théâtrale.
Retour sur une nuit d'ultimes tractations.
Aux alentours de 18 heures hier soir, les dernières versions des textes à discuter ont été distribuées à des congressistes fébriles, dans une cohue indescriptible (avec policiers et barrières de sécurité pour juguler la déferlante). Les premiers commentaires circulent rapidement côté ONG « inside » : le texte « Kyoto Protocol » est meilleur qu'on pouvait le craindre 24 heures plus tôt, il fournit les garanties suffisantes pour que toutes les parties l'acceptent.
A ce stade l'ennemi public devient la Bolivie. Pablo Solon, l'infatigable négociateur bolivien, donne une conférence de presse pour réaffirmer la position de son pays. La Bolivie est isolée, les pays en développement (pays africains, états insulaires du Pacifique), qui avaient invité la presse le matin même pour redire leurs exigences, se sont ralliés au texte proposé. Les BASICs se murent dans un silence approbateur.
Alors Solon tient conférence de presse seul, face à une presse et des observateurs unanimement hostiles. La Bolivie porte la voix des peuples, de la terre et de ses enfants. Aucune des propositions de Cochabamba n'a été reprise dans les textes, rien sur les transferts de technologies, marchés carbone dans le REDD+ et dans la filière Kyoto inacceptables... La Bolivie refuse l'accord proposé mais elle ne quittera pas la table.
On apprend peu après comment vont se dérouler les prochaines heures : une première plénière informelle vers 20 heures pour prendre la température, puis un retour en groupes de travail pour régler les ultimes détails, enfin plénière de conclusion pour formaliser l'accord.
A 20h, la salle de plénière est déjà bondée. Les portes sont rapidement fermées pour raisons de sécurité et un incident éclate lorsque des parties, bloquées à l'extérieur, exigent de pouvoir entrer, dont la délégation bolivienne !
A 21 heures la plénière démarre enfin, les portes ont entre-temps été réouvertes. La présidente de la COP Patricia Espinosa est tout simplement acclamée, plusieurs minutes durant, par une assistance en délire. Le ton est donné : tout plutôt qu'aucun accord.
Rivés aux écrans qui retransmettent les débats aux participants qui n'ont pas pu rentrer ou qui préfèrent les suivre un café à la main (on ne se sustente pas dans la salle), les journalistes notent tout, transmettent leurs papiers et téléphonent leurs commentaires, tentent de déjouer les décalages horaires en s'avançant sur le résultat.
Premier pays intervenant, la Bolivie, par la voix de Solon, affronte le public avec courage, et réexplique sa position. L'Ambassadeur de la Bolivie aux Nations unies recueille un silence glacial, interminable. Le Venezuela, le Nicaragua et Cuba, alliés de la Bolivie dans l'ALBA, qui ne souhaitent pas s'opposer à l'accord en phase d'être conclu, lui font une concession : ils demandent à la présidente Espinosa de prendre note des demandes boliviennes et de les rediscuter en groupes de travail. Tous les autres réagissent unanimement : Lesotho, Kenya, Pérou, Suisse, Union européenne, Sénégal, Maldives... expriment leur satisfaction et leur soutien au paquet proposé. Les USA et l'Arabie Saoudite, ambassadeurs en chef du tout pétrole, passagers clandestins du processus onusien, sont noyés sous les applaudissements. Le Japon, qui avait douché les espoirs en annonçant son retrait d'une seconde période de Kyoto, est acclamé lorsqu'il se range au texte proposé (il se dit que les pays riches auraient passé des messages fermes à la délégation japonaise afin qu'elle modère ses ardeurs).
Seconde plénière, vers deux heures trente. « Négocier appelle des concessions », « personne n'adhère à 100% au texte proposé »... Au fur et à mesure des interventions, l'issue s'impose à tous : la Bolivie fera notifier son désaccord avec la proposition, qui n'en sera pas moins entérinée par la Présidence. Dans un speech de 18 minutes, la délégation bolivienne, faute d'alliés, réitère ses positions mais accepte sa défaite avec éclat. C'est l'euphorie, exténuée, incrédule.
Ce matin, les analyses des parties comme de la plupart des ONG sont relativement positives. Sans encenser l'accord final, dont les limites apparaissent clairement (voir l'analyse d'Attac France postée par Christophe un peu plus tôt), la plupart des organisations de la société civile s'enthousiasment du sauvetage du processus onusien, dont un échec (sous entendu « aucun accord ») aurait sûrement prononcé l'arrêt de mort. C'est oublier rapidement qu'un accord formel mais vide risque de renvoyer la discussion sur les financements, entre autres, à la discrétion du G20. Ou alors c'est s'en satisfaire... Et la création d'un fonds vert, sans plus d'indications sur les modalités et les sources des financements, et alors que la Banque mondiale en sera gestionnaire "provisoire", ne peut être une bonne nouvelle en soi.
La Bolivie a-t-elle plié ? Pour certains, au contraire, elle a mené jusqu'au au bout un combat salutaire, empêché le pire, rappelé les demandes des peuples et les évidences scientifiques à la conscience du monde. Pour d'autres, elle a inutilement ralenti le processus, présenté des propositions ineptes, irréalistes, et joué le rôle folklorique de l'altermondialiste rendu à la raison par un sens collectif des responsabilités, celui des riches et des experts.
Les négociateurs pourront continuer à négocier, les consultants à consulter, les ONG à lobbyer. Le climat, les forêts, les humains attendront.