Seuls ? En est-on certain ? Les cinq enfants se posent la question depuis que leurs parents ont disparu. Et pourquoi croisent-ils uniquement des enfants, ombres fugaces et terrifiées, se terrant pour mieux se protéger ?
Dodji, Yvan, Terry, Leïla et Camille ont pris la route. Ils ont quitté leur ville désertée pour avancer. Pour aller de l’avant. Et oublier l’avant. Oublier la disparition. Le tome 1 était une scène d’exposition, avec un démarrage tout en brutalité, au sens plein du terme. La soudaineté a plongé les enfants héros de Seuls dans le désarroi et la solitude la plus vive. La plus subite. Le tome 2 avait des accents de polar urbain, avec son suspens haché, ses évocations d’une cité mégalo mortifère, et l’instinct de conservation en ligne de mire. Comme une ligne de (sur)vie.
Le tome 3 démarre façon road-movie, en autobus à impériale et sur fond de forêt calcinée. Comme après une apocalypse, où les enfants et les animaux sont seuls maîtres des lieux, en quête de maîtrise de leur destinée. Jusqu’au moment où les ce nouveau club des Cinq – sans Dagobert - rejoint des dizaines d’autres enfants. Et perd à nouveau tout contrôle.
Le Clan du requin ouvre la voie vers d’autres questions. Pourquoi bien sûr. Mais aussi, comment. Que s’est-il passé ? Pourquoi aucun d’eux ne se souvient-il de ce qui s’est passé ? Et pourquoi les souvenirs de chacun semblent-ils si honteux ? Qu’a Dodji à cacher ? De quoi se préserve donc Yvan ?
On croit retrouver une allégorie de Peter Pan, avec ces enfants perdus qui ne veulent pas grandir, mais qui veulent comprendre. L’histoire nous emporte au sein d’un parc d’attractions, avec costumes de pirates et décors de coffre à jouets. D’île aux trésors. Mais la réalité diffère. Le clan n’est pas une démocratie et son leader est une énigme. Autoritaire et autoritariste.
Sous ses dehors de BD interdite aux grands – Seuls a reçu le prix jeunesse 9-12 ans d’Angoulême en 2007 -, cette série nous transporte dans une quatrième dimension évocatrice aux ressorts de films catastrophe. Les héros pourraient être des adultes que cela ne changerait rien. Le dessin de Gazzotti est tantôt sombre, tantôt naïf. Le dessinateur de Soda oscille entre un graphisme classique avec ses personnages au nez proéminents et oreilles démesurées (façon Petit Spirou) et un trait plus fin, voire réducteur, quand il s’agit de capter les émotions dans les regards de ces enfants apeurés. L’utilisation de la lumière renforce cette impression de film noir, dans l’illustration des scènes nocturnes en clair-obscur, en jouant avec les perspectives. Le scénario est parfait, mêlant la facétie des histoires enfantines et la cruauté de l’influence du monde et de l’histoire des adultes sur ce clan et son leader. Vehlmann distille les clés de l’histoire, nous offre des pistes, certaines réponses. Et d’autres questions. Celles que se posent les protagonistes.
La question de l’oubli surnage. En même temps que celle de la mémoire. Elle revient peu à peu, les souvenirs remontent à la surface. Les adultes n’ont plus l’air d’être de ce monde qui désormais est livré aux enfants et auquel ils sont en proie. Ou peut-être est-ce l’inverse.
DB
Seuls, T.3, Le Clan du requin – Gazzotti & Vehlmann – Dupuis – 4 juin 2008 – 9,20 €
