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Billet de blog 2 février 2009

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Misanthrope sociable. Diacritik.com

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La France dans le petit blanc des yeux

Chez Francisque, c’est la France dans l’bar. Une France subjective, raciste, xénophobe, misogyne, qui a un avis sur tout et surtout un avis. Les clients de Chez Francisque picolent, boivent, éclusent… et sont poilants de bassesse, tordants de second degré, voire plus, désopilants à force d’être ridicules.

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Chez Francisque , c’est la France dans l’bar. Une France subjective, raciste, xénophobe, misogyne, qui a un avis sur tout et surtout un avis. Les clients de Chez Francisque picolent, boivent, éclusent… et sont poilants de bassesse, tordants de second degré, voire plus, désopilants à force d’être ridicules.

Avec une acuité rare dans le trait et un sens de la vanne comme on en voit que trop rarement de nos jours, Manu Larcenet et Yan Lindingre ont parcouru 365 jours d’actu pour en tirer une substantifique moelle alcoolisée, et nous servir la vision clientéliste et populaire des événements de l’année 2008 par les consommateurs avinés de Chez Francisque.

On ne le répétera jamais assez : on peut, on doit, il faut rire de tout. Même des sujets les plus graves. Surtout les plus graves. Parce que le rire est un antidote naturel à l’insidieux silence qui entoure les opinions viles. La plume acérée de Yan Lindingre fait mouche à chaque page. Avec son humour provocateur, le scénariste de Chez Francisque stigmatise et fustige la société actuelle, brocarde l’esprit de clocher et renvoie le chauvinisme à ses contradictions et à son étroitesse d’esprit. Et c’est jubilatoire.

Manu Larcenet a le dessin de circonstance, il s’amuse à croquer des gros nez rouge et prend plaisir à forcer le trait. Il illustre grassement et sobrement – un comble ! – les splendeurs et misères des jamais à court de tisane. Le créateur du Combat Ordinaire s’éclate dans le registre bistrotier. Il nous offre un graphisme abouti, panaché, tout en touches bigarrées, en effleurements légers d’aquarelle – paradoxe, encore ! – en noirceurs rondes.

Le tome 3 de Chez Francisque est un exercice, un anti-bilan, ce qu’il faudrait ne pas retenir de l’année écoulée quand le grave succède au dérisoire, le pathétique à l’ignoble : les émeutes au Kenya, l’Arche de Zoé, Alzheimer, le dopage, la flambée de l’euro, les vœux de Nicolas Sarkozy, la Gay Pride, l’environnement, l’heure d’été, l’heure d’hiver, Gaza déjà… rien ne manque ou presque.

Yan Lindingre a compilé, mois après mois, ces événements qui font la matière d’Une année vue du zinc pour en faire une « relecture depuis le bistrot » selon ses propres termes (interview à venir dans Comic Strip). Les personnages se suivent et ne se ressemblent pas, délivrant pensées flasques et diatribes cocardières.

Chez Francisque, dans une présentation ultra soignée pour sa première parution chez Dargaud, ce n’est pas de la petite bière… L’éditeur a mis les petits verres dans les grands, avec des citations frappées du coin du bon sens, au coin du bar, en exergue de chaque mois sur une magnifique double page lie-de-vin.

Rasades choisies : « Dieu ! Donne-moi un Ricard, des Gauloises filtre, un Rapido , et je te promets que je me tiendrai à carreau. »« Mieux vaut un verre sur le zinc que deux sur l’ardoise. »

« Si j’avais mis tout ce que j’ai picolé sur un Livret A, aujourd’hui, je pourrais m’offrir un foie tout neuf. »

Extrêmement drôle, forcément et joyeusement cynique, Une Année vue du zinc stigmatise les –ismes. Les pochards de Larcenet et Lindingre nous ouvrent les vannes de leurs lies tanniques. L’abus d’alcool est dangereux pour la santé, mais l’abus de Chez Francisque est franchement recommandé. Voire salutaire.

Remettez-nous ça, Patron(s) !

DB

© Lindingre & Larcenet - Dargaud

Chez Francisque, Une année vue du zinc, de Yan Lindingre et Manu Larcenet, Dargaud 2009, 20 €.

Prolonger :

www.lindingre.com http://www.manularcenet.com/blog/