L’immeuble en question, c’est le Flat Iron. A n’en point douter. Pas besoin d’être allé à New York pour s’en convaincre. Sa forme de fer à repasser. Son élancement vers un sommet torve, sa singularité anachronique dans une ville de verre, de béton et d’acier.
Né en 1917, Will Eisner connaît bien le Flat Iron lorsqu’il démarre sa carrière de dessinateur, carrière promise à une extraordinaire longévité. Alors que le new-yorkais s’éteint en 2005, l’immeuble sis à Midtown, au carrefour de la 23ème rue, de la 5ème avenue et Broadway est toujours debout. Contrairement à son avatar de papier, démoli dès les premières pages de l’album.
Perpétuant un travail de mémoire et avec une fidélité remarquable, les éditions Delcourt recomposent l’œuvre-hommage de Will Eisner consacrée à New York en trois tomes : La Ville. L’Immeuble. Les Gens (à paraître en octobre 2008). Né à Brooklyn, Eisner n’aura de cesse de magnifier la ville qui l’a vu naître. Ses historiettes, ses nouvelles en font le précurseur du roman graphique dès 1978.
Ayant débuté sa carrière en dessinant des comics policiers, dans lesquels des justiciers masqués défendent le bon droit, la justice et symbolisent la résistance aux iniquités les plus primaires, Will Eisner poursuivra au fil des années une œuvre marquée par une intense réflexion sur son propre métier. Illustrateur en temps de guerre (il dessine des posters institutionnels à l’attention des militaires US), professeur à l’Ecole des Arts visuels de New York, dessinateur de publicités, il est tout autant le créateur de héros naïfs et patriotiques que ce chantre urbain qui se met en scène dans les rues de sa ville. Carnet à spirales en main, crayon dans l’autre, la vie devant lui.
Will Eisner est un peintre moderne du monde qu’il traverse. Passager, observateur, croqueur de tranches de vies. Témoin du passé. De son passé. Augure d’un avenir visionnaire.
La poésie qui se dégage de L’Immeuble est intense. Le dessin y est tour à tour rond, le trait acéré, l’humour sensible, le noir et blanc propice pour ces fantômes du passé en clair et obscur, l’auteur jouant avec l’ombre et avec les lumières, insufflant à ses personnages une humanité mélancolique et belle. Quatre histoires. Quatre vies. Quatre destins. Un immeuble. Ainsi pourrait être résumé ce livre. Avec des images de la ville en prime. Comme les bonus d’un dvd. Avec ses menus cachés et ses surprises. Le temps semble s’arrêter pendant la lecture. Bulle dans et hors de la ville, témoignage à partir de vies croisées ça et là. Eternel recommencement.
New York Trilogie est plus qu’un simple recueil. C’est un recueillement. Un retour aux sources de la passion éprouvée par le natif d’une ville aimée et jamais trahie. Will Eisner aimait sa ville. Il aimait aussi ses habitants. Dont les travers, faiblesses et qualités étaient autant de sources d’inspiration. Même quand il s’agit de croquer une rue déserte, inhospitalière et triste, même quand il s’agit de se moquer de la frénésie qui s’empare des habitants de la ville qui ne dort jamais. La magie est là, captée, capturée, captivante.
« Quand on vit depuis longtemps dans une grande ville, on acquiert la capacité de s’émerveiller de tous les événements inexpliqués et apparemment magiques qui s’y produisent. »
DBL'Immeuble - New York Trilogie Tome 2 – Will Eisner – Delcourt – 14,95 €
Du même auteur, aux Editions Delcourt :
La Ville – mars 2008
Les Gens, à paraître en octobre 2008