Le Tour des Géants

Paris, 1910. Le siècle a dix ans et le Tour de France cycliste vit encore ses premiers tours de roues. Déjà, le professionnalisme pointe son nez. Les héros de la Grande Boucle s’appellent Faber, Lapize, Garrigou, Petit-Breton, Cornet... Ils portent des surnoms qui sembleraient aujourd’hui sortis d’un roman noir gouailleur : « Le Géant de Colombes », « Le Frisé », « Le Dandy », « L’Argentin », « Rigolo », « Gros rouge »…

Aux dires des spécialistes, le Tour 1910 restera dans la légende comme un sommet. Il passera pour la première fois par la haute montagne – le Tourmalet, Sisteron, le Portet-d’Aspet entre autres –, les organisateurs ont prévu un tracé de 4735 kilomètres, en quinze étapes, avec des départs de nuit, un équipement pesant et un règlement contraignant qui multiplie les amendes absurdes et interdit toute aide extérieure sous peine de disqualification.

Nicolas Debon est un dessinateur inspiré. Graphiste, auteur, lauréat du Boston Globe Horn Book Award, un des prix de littérature jeunesse les plus prestigieux, il signe avec Le Tour des Géants sa première bande dessinée parue en France. Pour raconter ce tour de l’extrême, il s’est documenté, auprès de Serge Laget (auteur notamment de La Saga du Tour de France : 1903-2003, le Tour fête ses 100 ans - Découvertes Gallimard), en puisant dans les biographies des champions du passé, en remontant le temps à la lecture des journaux d’époque. Mais avant tout, Nicolas Debon a su restituer cette aventure – ces aventures –, du point de vue de l’homme, du point de vue du sportif, en montrant les forces et les faiblesses, les doutes et les fanfaronnades, en n’omettant pas les coulisses de leurs exploits.

Tromperies, tricheries, coups du sort et coups tout court, règlement inique et sanctions injustes, marchandisation (déjà !), maladie, accidents, morts… Rien ne semble manquer à ce Tour des Géants. Avec un graphisme tout en pastels, en crayonnés, Nicolas Debon nous offre ce tour dans des couleurs un peu sépia, dans des tonalités parfois impressionnistes, jouant avec les teintes froides et chaudes, par petites touches en pointillé quand il s’agit de représenter tour à tour les éléments, la sueur, le sang et les larmes.

Car l’aventure racontée dans Le Tour des Géants est une aventure humaine, l’opposition des ego, la volonté des organisateurs de vendre plus de journaux – les premiers tours de France étaient organisés par le journal L’Auto – et de faire de ce barnum à ciel ouvert un cirque médiatique, les parcours de ceux qui iront jusqu’au bout de leurs forces, de leurs limites. Et au-delà. Juste avant la Grande Guerre, ce début de siècle semblait avoir besoin de héros.

Le Tour des Géants, un album à la dimension biographique, un album tout en sensations, en impressions, par sa plongée au cœur du peloton, au cœur des questions déjà présentes sur le dopage – avec une certaine candeur d’ailleurs, quand on découvre à quoi roulaient les forçats de la route d’alors. Au cœur de la course.

DB

Le Tour des Géants de Nicolas Debon, Dargaud – Collection Long Courrier – 14€ 50

© Images Debon / Dargaud