
Bruno Le Floc'h s'est éteint vendredi dernier à Nantes. Né à Pont-l'Abbé en 1957, le Breton était venu à la bande dessinée par l'animation, par le storyboard et il était reconnu pour son art et sa maîtrise du scénario.
Au bord du monde, Trois éclats blancs, D'un quai à l'autre, et les magnifiques Chroniques Outremers, dont le dernier tome, Métisse, vient de sortir en septembre sont autant d'oeuvres qui ont montré le travail rigoureux de l'auteur sur les textes et le dessin. Le prix René Goscinny avait récompensé son talent de conteur pour Trois éclats blancs en 2004. Retour dans le passé avec la chronique publiée Mediapart et consacrée à Saint-Germain, puis rouler vers l’ouest paru en avril 2009.

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Alexis est saxophoniste de jazz, il joue sa partition tous les soirs à Saint-Germain, et rentre à l'aube retrouver Mary. Mais ce matin-là, Mary est partie. Elle n’a laissé qu’une note brouillonne sur un pick-up éteint. Comme un silence sur la gamme des sentiments d’Alexis.
Avec Saint-Germain, puis rouler vers l’ouest, Bruno Le Floc’h compose, orchestre, joue ce solo étrange et pénétrant. Et cite Rimbaud. Vers l’ouest. Saint-Germain, c’est un set, une partie, une histoire de cœurs qui ne sont plus à l’unisson. Celui de Mary partie, qui ne bat plus pour Alexis. Celui d’Alexis, qui ne bat que pour celle qui rythmait sa vie. Mary ne l’« aime plus tout entier ». Alexis est perdu sans elle. Il décide de partir à son tour. Il quitte Saint-Germain. Il oublie le jazz, le jeu, Paris, il part à son tour. Pour la retrouver.

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Bruno Le Floc’h met en images et en musique le voyage de ce soliste perdu, saxophoniste bohème et buveur, qui fume Craven sur Craven entre deux rasades de Southern Comfort. En chemin, alors qu’il part droit devant lui, le destin semble le pousser vers des circonvolutions qui le ramènent toujours à Mary. Les figures féminines sont autant de réponses à ces questions qui le tenaillent. Alexis va donc rencontrer tour à tour une fillette en quête d’un moyen de transport pour rejoindre la fanfare locale ; une future mariée, à la fausse innocence et à la fraicheur savoureuse ; une future mère en proie à ses doutes, ses questions ; une bonne fée tout en impertinence et en raison... Maritie, Marie, Marielle, Marig. L’image de Mary, la métaphore de Mary, l’envie de Mary poursuit et précède Alexis. Toujours.
Bruno Le Floc’h utilise les couleurs comme il jouerait une partition chromatique : l’intensité du blanc saturé et la profondeur, la chaleur des rouges nocturnes et des jaunes ensoleillés. Il minimise les décors, oublie les traits des visages, gomme les expressions pour mieux souligner l’importance de certains regards ou au contraire l’inutilité d’autres. Souvent les perspectives changent, Le Floc’h joue avec le champ et le contrechamp, le premier et le second plan, et s’enfuit parfois dans de somptueux panoramiques. Il rend parfaitement, par petites touches, l'insouciance et les interrogations, les fêlures et les espoirs, l’ambiance de ces années 50.
Saint-Germain, puis rouler vers l’ouest, une partition en duetto, la musique en fond sonore, prétexte et raison d’être. Et Mary. Sur la route. Peut-être, au bout de la route.

Saint-Germain, puis rouler vers l’ouest de Bruno Le Floc’h, Dargaud, collection Long Courrier, 15 € 50, parution le 17 avril 2009

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Bruno Le Floc'h (1957-2012)