La bande dessinée n’a pas pour seule vocation de distraire. Comme les autres arts, la BD possède sa spécificité, son langage propre, pour illustrer bien sûr mais aussi pour relater, raconter des histoires, qui, lorsqu’elles sont vécues ou font œuvre de mémoire, ne doivent pas être prises à la légère. Sous prétexte qu’il s’agirait de BD.
Preuve en est avec ces deux albums parus en novembre. Deux albums collectifs, un même sujet, deux traitements différents. Avec Paroles d’étoiles, aux éditions Soleil, et Les Enfants sauvés, chez Delcourt, des auteurs s’impliquent et mettent en images le sort d’enfants juifs cachés et sauvés au cours de la seconde guerre mondiale. C’est un travail difficile que de mettre en images des histoires attestées et s’effacer derrière le propos, tout en le servant.


Comme le message de Simone Weil le souligne, en avant-propos des Enfants Sauvés, on pourrait douter de l’adéquation du média au sujet si sensible qu’est la Shoah : « C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai pris connaissance de l’adaptation en bande dessinée de huit témoignages d’enfants sauvés pendant la Shoah. A priori, j’étais assez méfiante vis-à-vis de cette présentation pour un ouvrage concernant un thème aussi douloureux et difficile à exprimer. » Art Spiegelman avait d’ailleurs usé du décalage graphique, de paraboles et d’un symbolisme forts pour Maus. Préfacé par Tomi Ungerer, Les Enfants sauvés présente « huit histoires de survie », huit destins d’enfants juifs, aux origines géographiques différentes. Pologne, Grèce, Autriche, France… Alisa, Alik, Mireille, Fredzia ont connu une histoire similaire : la fuite, la perte d’identité, les souffrances et l’espoir. Le lecteur les découvre au travers de pages et de planches qui rassurent sur la capacité de la bande dessinée à retranscrire l’indicible.


Paroles d’étoiles, mémoires d’enfants cachés, est l’adaptation en BD aux éditions Soleil des recueils de textes de Jean-Pierre Guéno, parus initialement en 2007 chez Librio. Extraits authentiques de lettres, journaux intimes et témoignages recueillis auprès d’enfants devenus grands, et qui ne pourront jamais effacer le souvenir de leur passé douloureux. « 72000 enfants d'origine juive vivaient en France en 1939. Ils ont été jetés dans la guerre, marqués de l'étoile jaune, et souvent séparés de leurs parents. 12000 ont été éliminés. 60000 ont survécu : beaucoup parce qu'ils ont été cachés. » Paroles d’étoiles est bouleversant d’authenticité. Parce qu’il est le fruit de souvenirs, de témoignages tendres et poignants. Parce qu’il n’est pas, dans son adaptation en bande dessinée, une œuvre de mise en scène justifiant toutes les audaces. Ce n’est pas de la bande dessinée pour la bande dessinée. Bien plus, réalisé à la manière d’un conte scénarisé par Serge Le Tendre, Paroles d’étoiles souligne chaque histoire personnelle par une lettre retraçant l’après… Pour mieux insister sur les blessures, sur la difficulté de la reconstruction, pour mieux expliquer que le temps n’aura pas suffi à faire oublier l’inoubliable et l’inacceptable et dire le courage qu’il aura fallu pour enfin écrire un jour ces paroles… Le dessin se met donc au service du propos, les styles graphiques extrêmement variés au long des onze histoires ne sont là que pour rendre hommage aux histoires de ces enfants cachés, sauvés, bien vivants malgré leur cicatrice commune.

© Soleil - Le Tendre / Démarez
« La littérature enfantine est bien anémique, sinon inexistante, lorsqu’il s’agit de traiter des sujets comme la misère, la faim, la violence et les catastrophes qui sévissent sur nos vallées de larmes » déclare Tomi Ungerer, dessinateur.

Il convient donc de saluer ces deux ouvrages, pour leurs qualités graphiques, pour leur ambition, pour leur valeur de témoignage. Parce que la BD peut mobiliser ses talents et faire œuvre de mémoire, relayer ces messages universels qu’il convient toujours de rappeler, malheureusement trop souvent : « non ! Plus jamais ça, ni ici, ni ailleurs… »
DB Les Enfants sauvés, huit histoires de survie, collectif, Delcourt, 14,95 € Paroles d’étoiles, mémoires d’enfants cachés, d’après les ouvrages originaux de Jean-Pierre Gueno, adaptation de Serge Le Tendre, collectif, éditions Soleil, 19,95 €