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Billet de blog 11 novembre 2010

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Les Zorkons, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît

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Le tome 51 a failli s'intituler Il y a des monstres à Champignac, en hommage au tome 2 (NDR: Il y a un sorcier à Champignac de Franquin et Jean Darc), il est très drôle et " rénove " radicalement la série, ne serait-ce qu'avec ce titre Alerte aux Zorkons... Comment en êtes-vous venus à reprendre Spirou et Fantasio ?

Fabien Vehlmann : On avait été pressentis pour reprendre la série après Tome et Janry, j’étais d'ailleurs très fan de l’idée. Yoann était déjà proposé pour reprendre le dessin et pour plein de raisons, nous n’avions pas été retenus et Morvan et Munuera ont été choisis. Dans le même temps, l’idée des one shot avait muri et on a été les premiers à paraître dans la série Une aventure de Spirou et Fantasio par… avec Les Géants pétrifiés. On a donc réalisé cet album d’une manière assez radicale, avec nos sensibilités, tout en se disant que ce serait le seul Spirou que l’on ferait dans notre vie. Paradoxalement, ça nous a beaucoup servi quand les gens de Dupuis sont revenus vers nous pour reprendre la série « historique ». On s’est rendu compte que l’on aurait fait la reprise exactement comme on a fait le one shot : d’une manière assez directe, frontale, vis-à-vis des lecteurs, tout en sachant que certains lecteurs plutôt traditionnaliste (ce n’est pas péjoratif) ne nous avaient pas suivis notamment sur le graphisme et on a pris en compte cette expérience et ce retour des lecteurs. Le fait d’avoir été rappelés par l’éditeur pour au moins trois albums nous a ragaillardis. C’est un peu comme une seconde chance, assez inattendue d’ailleurs.

Yoann : l’approche n’est pas la même entre le one shot et la série. Quand on a fait Les Géants pétrifiés, nous étions invités à faire un seul album. Cette collection a d’ailleurs été créée pour que des auteurs qui ont leur propre univers, leur personnalité, donnent leur vision de Spirou.

Comment aborde-t-on la reprise officielle d’une série emblématique comme Spirou ?

Illustration 1
© Yoann 2009

Yoann : pour Alerte aux Zorkons, tout le challenge a été de trouver et de façonner un Spirou qui soit le mien et pas celui de Franquin ou de Fournier ou d’un autre. Il fallait qu’il soit original tout en gardant sa personnalité, ses caractéristiques, son humour. Au niveau du dessin, ça a été un vrai casse-tête, à travailler et retravailler encore. A faire des études, des essais… J’ai noirci des pages de carnets entiers afin de trouver mon Spirou, un Spirou qui est contemporain, typé, mais reconnaissable.

FV : C’est plus impressionnant lorsqu’il s’agit de la série principale (NDR : par rapport aux one shot), on sait que l’on va être très attendus. Il y a une grande pression. C’est assez compliqué, on est conscient des contraintes et en même temps il ne faut pas se focaliser sur celles-ci sinon on ne peut pas avancer. On a donc essayé de le faire de manière ludique. On s’est dit que si on doit garder quelque chose des grands anciens, c’est qu’ils se sont amusés. Je ne pense pas que Franquin se disait à chaque instant « est-ce que je suis à la hauteur de Jijé ? ». On a essayé de garder ce côté potache et en même temps on a intégré le fait qu’il s’agit d’une marque (le calot, le logo Dupuis...) en replaçant Spirou dans le contexte du journal, en imaginant (comme à l’époque de Franquin, de Gaston Lagaffe) que Spirou travaillait... au journal de Spirou. Et donc en l’obligeant à porter son costume de groom quand il est en promo. Avec le côté un peu surréaliste que cela implique : un peu comme si Mickey travaillait au Journal de Mickey. C’est une contrainte que l’on s’est imposée de nous-mêmes, en forme de clin d’œil aux lecteurs du journal.

Les clins d’œil ne manquent pas, par des allusions directes à l’univers de Spirou ou à d’autres séries de bandes dessinées…

Illustration 2
© Yoann - Vehlmann / Dupuis 2010

FV : Pour revenir sur l’habit de groom, on a notamment pensé à en faire un running gag : en faisant en sorte que le lecteur se demande ce qui va justifier que Spirou porte son costume et son calot. Un peu à la manière de Soda (NDR : Soda est un personnage de policier new-yorkais qui se déguise en prêtre pour ne pas avoir à avouer à sa mère qu’il est flic, dessiné par Gazzotti et scénarisé par Tome, lui-même scénariste de Spirou de 1984 à 1998).

Tu parlais d’un esprit potache, avec Alerte aux Zorkons, on tend même vers le déconnant, de par le titre de l’album en premier lieu.

FV : ce que l’on voulait avant tout avec Yoann c’est que les jeunes lecteurs rentrent dans l’album avec plaisir, en voyant d’entrée le côté marrant. On revendique d’ailleurs cet esprit « cour de récré » de gamins qui s’amusent. Pour autant, l’album n’est pas exempt d’un deuxième niveau de lecture avec des hommages, des références à la série (dont j’espère qu’ils ne vont pas gêner le lecteur). L’idée était de pouvoir entrer dans l’album sans être obligé de connaître tout le passé de la série et tout en rassurant les lecteurs un peu plus exigeants. Ainsi, on rappelle des aventures passées (Virus, Il y a un sorcier à Champignac), il y a des hommages aux dessinateurs qui nous ont précédés (Fournier, Franquin…) par petites touches avec des détails, des noms de lieux, des personnages. C’est un tout : on a pris des ingrédients qui nous paraissaient importants, et on a fait l’album que l’on voulait faire, un album de Yoann et Vehlmann, mais qui rappelle également les albums précédents. Je dois dire que je me suis beaucoup amusé avec les Zorkons qui sont des personnages idiots par définition (NDR : ils n’ont pas de cerveau). Je plaide coupable.

L’album a été pré-publié dans Spirou, quelle a été la première réception de l’album ?

Yoann : il faut savoir qu’il y a une sorte de tradition franco-belge qui veut qu’un repreneur soit le disciple du précédent (Franquin après Jijé, Fournier après Franquin…). Même si Spirou est une série qui évolue avec son temps, elle garde ses spécificités, ses codes graphiques. L’éditeur nous a d’ailleurs demandé de respecter ce qui avait été fait avant (quitte à le faire évoluer par la suite) pour avoir une certaine cohérence dans la reprise. Pour Alerte… j’ai donc opté pour un graphisme un peu plus classique. Ce dont je suis assez content parce qu’en même temps j’apprends énormément en m’imposant ce classicisme. Tout en ayant la possibilité de créer des choses délirantes, comme les monstres ou les décors…

FV : C’est assez ironique en fait, on remet tout à plat, avec la destruction de Champignac et dans l’ensemble, l’album a été perçu comme une reconstruction de l’univers de la série. Les premières réactions ont été rassurantes. Ce qui m’importait avant tout, c’est que ce soit drôle. Dans les passages avec les militaires, on va à fond dans l’antimilitarisme franquinien. Ce qui m’a amusé par exemple, c’est de parodier cette manière qu’ont les américains pour donner un nom à une mission. Se dire qu’à un moment donné, des gens vont se mettre autour d’une table et se demander « bon, comment on va l’appeler cette opération où il va y avoir des dizaines de milliers de morts ? Qu’est-ce que vous pensez de ‘Desert Storm’ ? » Je trouve cela fascinant de penser que cette conversation a eu lieu. Dans Alerte aux Zorkons, c’est devenu « pourquoi pas ‘Apocalypse tout de suite’ ou ‘Une grosse bombe sur les bouseux’…

Illustration 3
© Yoann - Vehlmann / Dupuis 2010

Ça modernise la série, avec un nouveau ton peut-être moins " vintage "…

FV : C’était le but. On voulait que cette aventure soit contemporaine. Tous les repreneurs ont été en prise avec l’époque où ils ont travaillé sur la série. On est dans la continuité pour ce qui nous concerne. C’est aussi pour cela que l’on n’a pas introduit beaucoup de nouveaux personnages. Ce que l’on voulait, c’était remettre en place les fondamentaux et c’est quand même une série pour garçons faite par des garçons… Je pense qu’à partir du prochain album (NDR : le tome 52 est quasi écrit), on aura davantage les coudées franches. Je pense notamment à créer des personnages que l’on retrouvera par la suite avec une histoire qui se passera sur lune avec un côté James Bond… Je prends plaisir aujourd’hui à écrire des histoires de Spirou, j’ai la matière pour écrire trois à quatre albums. J’espère qu’avec Yoann on aura la possibilité d’aller jusque-là. On a envie, mais il faudra sûrement prendre du recul et voir comment cela évolue. J’ai envie d’aller vers des personnages un peu plus construits. J’ajouterais même que ce genre de série fonctionne beaucoup sur les seconds rôles. Tu parlais de faire-valoir, je pense que dans tout duo de personnages, il y en a un qui est un peu plus en creux. Dans le cas de Spirou, j’ai envie que celui-ci se révolte un peu plus, j’ai envie d’explorer ‘the dark side of the groom’ (excellent titre qu’a trouvé Yoann à la fin d’album). Le but reste d’aller vers des aventures drôles, avec des thématiques sous-jacentes très intéressantes. L'objectif est de faire des albums lisibles par tous, les enfants comme les adultes qui ont gardé une âme d’enfant.

Propos recueillis par Dominique Bry - Septembre 2010.

Alerte aux Zorkons, de Yoann et Fabien Vehlmann, Dupuis, 9 € 95

Le 5 novembre, un coffret spécial est sorti en librairie, contenant le numéro spécial Gaston Lagaffe du journal de Spirou et une aventure inédite de Spirou et Fantasio dans un mini album en format à l'italienne, scénarisée et dessinée par 79 auteurs du journal (dont Yoann, Vehlmann, Emile Bravo, Trondheim, Parme, Arthur de Pins, Libon, Lambil, Cauvin, Delaf, Dubuc, Fournier, Bouzard, Bertschy, Gazzotti, Frank...) sur le principe du cadavre exquis.

Illustration 5
© Dupuis 2010