Si vous n’étiez pas amoureux de votre institutrice d’alors, si vous n’avez pas gardé de souvenir ému de vos gamineries écolières, si vous n’avez jamais tenté de dissimuler vos bêtises en mettant ça sur le compte du chat, du chien, de votre petit-frère ou sœur (rayez la mention inutile), deux cas de figures s’offrent à vous : lisez le tome 14 du Petit Spirou et regrettez de n’avoir pas vécu cela (et bien plus) ou bien lisez le tome 14 du Petit Spirou et essuyez une larme de mélancolie pleine du regret d’être devenu grand.
Bien fait pour toi !, quatorzième album de la série, nous replonge dans les jeunes années du héros septuagénaire, quand Le Petit Spirou était petit, avant de devenir grand, sachant que ce n’est toujours pas le petit frère du grand – même s’il est plus petit –, sachant que le grand Spirou, ce serait pour les grands, et le petit pour les petits. Mais « ce serait trop simple ». Le Petit Spirou est de retour. Personnage fétiche de Tome et Janry depuis deux décennies, il revient pour de nouvelles aventures où la poésie et le charme des bêtises enfantines se mêlent à des considérations de haute importance : comment survivre dans ce monde d’adultes, comment échapper au cours de sport, comment vivre ce questionnement permanent, cette curiosité enfantine qui tenaillent les petits qui aspirent tellement à devenir grands, comment échapper aux devoirs de calcul… ?

Pour le Petit Spirou, le monde des adultes est un monde sentencieux fait d’interdits et de vérités sèches. Dis bonjour à la dame ! C’est pour ton bien ! C’est pas de ton âge ! Merci qui ? Tu comprendras quand tu seras grand !... Il est donc entendu qu’il va tout faire pour braver les C’est pas de ton âge ! et autres Tu veux mon doigt ?

Le duo Tome et Janry fonctionne à plein régime, tous les personnages sont croqués avec tendresse, des copains de classe (Vertignasse, Suzette, Ponchelot, Cassius ou Masseur) en passant par ces dames (Mademoiselle Chiffre, Grand Mamy et Maman) et les « andouilles » (Monsieur Mégot, l’Abbé Langelusse – avec qui ils ont de plus en plus de mal – Melchior Dugenou…), et le Grand-Papy, grand-père et grand-frère, compagnon de jeu et d’armes de jubilation massive. Les gags de Tome et Janry ont cette saveur espiègle, cette fausse ingénuité dans le ton et dans le dessin qui font que chaque case, chaque strip, chaque planche sont ciselés – avec de facétieux détails parfois, clins d’œil et références savoureuses –, travaillés, savamment dosés.

Les détracteurs (il s’en trouve encore, « bande de moules ! ») diront qu’après quatorze albums, on est en terrain connu, que la surprise n’est plus au rendez-vous… ou même que le Petit Spirou est obsédé par les filles, pire par la nudité… comment leur dire ? Qu’ils se rassurent, j’ai lu ce tome… et j’en ris. Signe que ses créateurs sont en prise directe avec le monde, le Petit Spirou, tout en conservant sa fraicheur, touche des thèmes nouveaux : racisme, personnes âgées qui devraient vivre chez elles plutôt qu’à l’hospice, psychologues pour enfants, solitude des profs de gym après les cours… de quoi apaiser les ligues de vertus pour un temps. A ceux-là d’ailleurs au passage, je recommande tout particulièrement la page 23…
Le Petit Spirou n’a pas beaucoup grandi, il a peut-être un peu évolué (quoi qu’en dise Janry dans l’interview qu’il a accordée à Comic Strip pour Mediapart), impertinence et espièglerie, dérision et candeur… C’est (bien) fait pour nous !
DBLe Petit Spirou #14 de Janry et Tome. Dupuis, 9 € 45
