Deuxième rendez-vous d’Intégralement vôtre, rubrique consacrée aux recueils et intégrales BD. Au sommaire de ce mois de mars : Claire Bretécher, Franck Le Gall, Carlos Giménez et le duo eighties Nataël & Béja.
Agrippine, Claire Bretécher, Dargaud

L’intégralité des huit albums des aventures d’Agrippine est rassemblée dans ce recueil, d’Agrippine à Agrippine déconfite, dernier opus paru en 2009. Agrippine, c’est du concentré d’époque passé à la moulinette du rire, qu’il s’agisse des travers de ses contemporains, de la photographie d’une famille inventée (mais ô combien réaliste, voire en avance sur son temps), des conflits de générations, des affres ridicules d’une ado pourrie-gâtée croquées avec délice… Claire Bretécher sait capter l’air du temps avec une acuité qui force le respect : les personnages ne vieillissent pas, l’humour n’a pas pris une ride. Agrippine forever !
Les Griffes du hasard, Nataël, Béja, 12Bis

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Les Griffes du passé l’intégrale est la réédition par 12bis d’un must have de la bd des années 80, un polar désabusé, noir et cynique, un puzzle tortueux. Dans le plus pur style de la ligne claire d’un Chaland, d’un Bertrand, héritier de Jacobs ou de Floc’h, Beja a composé cette fable onirique et pensive comme un opéra nocturne : le gris de la nuit pose son empreinte à chaque page. Au fil des cases, des couleurs percent le gris-noir dominant avec ces ciels oranges, des détails éclatants (un mouchoir, une robe, une écharpe…) en un rouge chaleureux qui détonne dans le froid vert-de-gris ambiant, soulignant tel objet ou tel personnage. Il se dégage de l’album une sensualité certaine, avec ces touches éparses d’érotisme chic, sur un mode glamour un peu désuet désormais. Les Griffes du Hasard sont une incursion dans le passé, une virée crépusculaire dans le patrimoine graphique emblématique de la ligne claire débridée de ces années sex & rock n’ roll.
Barrio, Carlos Giménez, Fluide Glacial

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Théodore Poussin, Franck Le Gall, Dupuis
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !
Baudelaire, Le voyage.

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La première publication des aventures de Théodore Poussin date de 1984, année au cours de laquelle on a découvert les premières planches d’un voyage qui dure maintenant depuis plus de vingt-cinq ans. Vingt-cinq ans, l’âge de Théodore Poussin au moment où commence son voyage. En 1927, Théodore est un modeste employé aux écritures, au bureau de fret d’une grande compagnie de navigation. Lecteur de Joseph Conrad, fils de marin,
Théodore est tenaillé par le désir de voyager (comme son père et son oncle avant lui), il réalise enfin son rêve d’horizons lointains quand il est nommé élève-commissaire à bord du Cap Padaran à destination de l’Indochine. Ceylan, Singapour, Haïphong… des noms sur un planisphère et des manifestes de navires marchands jusque-là, de futures escales désormais. L’aventure commence.
Avec douze tomes parus, Théodore Poussin est une saga sur la découverte de soi et le destin qui emporte les hommes. Un récit d’aventures maritimes, un voyage dans l’histoire. Franck Le Gall a construit une œuvre à la maturité étonnante (il a vingt-cinq ans lors de la première parution de Théodore Poussin), un conte philosophique et épique.
Avec ce dessin fidèle à la ligne claire qui l’a nourri, Franck Le Gall nous invite au voyage : sur les traces d’un héros malgré lui, un aventurier incongru : un homme jeune aux petites lunettes rondes et au visage presque poupin, en proie au doute et découvrant le monde et ses mystères.
L’œuvre du dessinateur et auteur est rassemblée pour la fois en intégrale (le tome 1 a paru en 2010 regroupant les quatre premiers épisodes : Captain Steene, Le Mangeur d’archipels, Marie Vérité et Secrets). On en reparlera : le second tome paraîtra en juin 2011 avec les quatre albums suivants.
Levons l’ancre !
– D. B.
Prochain rendez-vous, le 1er mai.
Crédit images © Dargaud / Dupuis / 12bis / Fluide Glacial