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Lourdement marketé, le retour en 3D du héros des enfants de 30 ans a été annoncé lors du Festival du film d'animation d'Annecy, qui s'est achevé dimanche.
"Merci pour le vent de liberté que vous avez fait souffler dans l'Argentine des années 80." Leiji Matsumoto, 73 ans, sourit doucement et remercie le journaliste transi. La conférence de presse se poursuit, l'ambiance est à la fascination. Un confrère italien demande la parole. Il se lève et annonce avec fierté avoir fait sa thèse de doctorat sur le héros interstellaire. Pour faire bonne figure, il pose quand même une question.
Le matin même, au 4e jour du 51e Festival International du Film d'Animation d'Annecy, une foule compacte s'était pressée au WIP -Work in Progress- du maître japonais. La moitié avait dû être refoulée, faute de place. Pourquoi cet engouement autour du mangaka, démiurge tranquille du légendaireAlbator, dont la trace créatrice se perd en 2003, après sa collaboration, réussie, avec les Daft Punk ?
C'est que 35 ans après sa naissance, la légende revient. Enfin, il lui reste quelques galaxies à traverser. Mais le Capitaine corsaire devrait aborder nos rivages en 2013. En 3D, évidemment. Ses fans l'attendent avec dévotion. Adolescents attardés dans les animations simplistes de leurs dix ans ? Pas seulement.
Dans la bibliothèque qui jouxte les salles de projections, une exposition est consacrée au Capitaine Harlock, le nom originel d'Albator. Aux côtés de la silhouette sibylline et androgyne du pirate balafré, figurent quelques esquisses récentes et trône le portrait d'un Albator à la fois sombre et lisse, celui qui naviguera dans le film en 3D stéréoscopique que préparent les studios TOEI Animation. Mais le visiteur -âge moyen 17 ans- observe une longue pause à l'entrée de l'exposition. Et lit avec attention le manifeste de Leiji Matsumoto, écrit en 1976 : « Hisser le drapeau pirate pour aller conquérir des mers inconnues, voilà l'existence dont j'ai toujours rêvée. » L'incipit du texte claque effectivement comme un drapeau (pirate) dans le vent. D'un romantisme bon teint, il parle assurément à l'âme adolescente. Matsumoto, dont l'argument repose sur la métaphore centrale de la mer et du voyage, poursuit : « La mer... Certains se demandent où sont les mers qu'il nous reste à découvrir. Mais la mer n'est-elle pas infinie ? (...) Je crois que la mer du futur, c'est l'espace. Et un peuple sans vaisseau n'est rien dans cet océan-là. »
Difficile de ne pas voir aujourd'hui à travers la rhétorique de ce pirate épris de liberté, vigilant combattant de l'oppresseur, la figure du hacker bienveillant naviguant dans les mers inconnues du cyberespace. Interrogé sur la dimension politique de son personnage, Matsumoto, semblant vouloir éviter toute récupération concrète de son « compagnon de toujours », se contente de répondre que son personnage ne fait « pas de compromis », et « poursuit ses rêves sans relâche, fidèle à lui-même. » Posture qui rend Albator polymorphe et universel, renforçant de facto sa qualité mythique.
Mais le dernier défi du héros au grand cœur, qui « boit volontiers, endure sans se plaindre peine et douleurs, et verse aussi des larmes » sera assurément de sortir la tête haute de la superproduction des studios TOEI, annoncée comme étant la plus onéreuse de l'histoire du cinéma d'animation japonais et ouvrant résolument la porte à une « nouvelle ère digitale. »
Mais pendant que ses producteurs parlent technique et gros sous, Matsumoto continue, imperturbable, de dérouler le fil de son rêve d'enfant, la main ferme et tendre sur la barre de l'Arcadia. Mainstream malgré lui.