Une rumeur voudrait que seuls les Américains sont capables d’adapter sur grand écran les aventures des héros de papier avec bulles et dessins. Largo Winch le film sort sur les écrans demain, 17 décembre, et c’est une réussite. Comic Strip l’a vu en avant première.
Avec une certaine hantise, il faut le reconnaître. Pour un certain nombre de raisons : Pourquoi et comment adapter une bédé dont chaque nouvel opus caracole en tête des ventes ? Comment adapter un best-seller de la bande dessinée qui en est déjà à son 16ème tome ? Le pourquoi est aisé à comprendre. Série populaire, au succès non démenti, Largo Winch est aujourd’hui un personnage internationalement connu. On pouvait donc craindre le pire : que peut apporter le cinéma à une telle série, qui est déjà par ailleurs très tournée vers ce genre, avec son graphisme réaliste, son montage nerveux, quasi cinématographique ?
Par ailleurs, avec Spider-Man, X-Man, Iron Man, Hulk… Hollywood semble puiser dans la liste non exhaustive des super-héros nés de l’imaginaire des scénaristes et dessinateurs de comics et produit au kilomètre de pellicule numérique des hits du box-office, tant en termes d’entrées que de dollars. En France, le genre est beaucoup plus discuté et discutable. Les adaptations de qualité se compteraient sur les doigts de la main de Mickey – qui n’a que quatre doigts, rappelons-le –, avec des tentatives artistiques diverses et des réussites et des échecs aussi retentissants qu’aléatoires. Jusque là cantonné à l’adaptation - je dirais même la transcription -, d’albums ou séries d’albums en dessins animés sur grand écran, le cinéma français a depuis mis en scène (voire commis) des bédés populaires chères à notre patrimoine… Avec toute la difficulté de donner chair et vie à des personnages en deux dimensions. Les exemples sont nombreux, malheureusement. Il ne s’agit pas de tirer sur qui que ce soit, mais il faut bien l’avouer, Astérix aux Jeux Olympiques, Blueberry, Michel Vaillant et Iznogoudsont d’affreux exemples de ce que le cinéma légumier hexagonal est capable de produire, tout en revendiquant et une exception culturelle et, on n’est pas à un paradoxe près, des budgets hollywoodiens en guise de caution de son entreprise.
Alors, qu’en est-il de Largo Winch, le film ?
Réalisateur et co-scénariste, Jérôme Salle, dont c’est le deuxième film après Anthony Zimmer, s’est approprié le héros avec une grande humilité. En adaptant les quatre premiers tomes de la bédé dans ce film, il a su donner une unité et centrer son histoire sur une partie de l’œuvre : la transformation de Largo Winczlav en Largo Winch, son ascension au sommet de la finance internationale suite au décès de son père adoptif Nério. Julien Rappeneau est le coscénariste de cette aventure, et il a réussi, avec Jérôme Salle, à retranscrire l’univers de Jean Van Hamme et Philippe Francq sans tomber dans le travers et le paradoxe que l’on pouvait craindre : être trop fidèle ou ne pas l’être. Et à ce titre, c’est une réussite. Le film est complémentaire de la bédé. L’histoire a été modifiée – n’en déplaise au puriste que je suis –, des libertés ont été prises avec les personnages fétiches de la série initiale. Certains n’y sont pas, d’autres ont été « retravaillés ». Et ça fonctionne ! Comme le disait Philippe Francq dans l’interview accordée à Comic Strip en novembre dernier : « Quel (…) intérêt de voir un film qui retracerait très fidèlement la bande dessinée, d’avoir un fil conducteur que l’on connaît déjà ? » En prenant ses distances avec l’univers de départ, tout en conservant l’esprit de la bédé, Jérôme Salle a mis en scène son Largo Winch. En cela il a parfaitement mené à bien son opération de « trahison fidèle ».

Le casting est international. Tomer Sisley, Kristin Scott-Thomas, Gilbert Melki, Miki Manojlovic, Mélanie Thierry, Nicolas Vaude... Là encore, le pari audacieux est gagné haut la main. La carte du « toute ressemblance avec des personnages fictifs ou réellement fictionnels ne serait que pure coïncidence » n’a pas été jouée. La production n’a pas cédé, comme M6 en son temps, à la tentation facile d’aller trouver la copie conforme du milliardaire en jean-baskets chez les top-models en mal de podium et a, au contraire, imposé un Tomer Sisley qui se révèle extraordinaire et convaincant en Largo. Il en a l’énergie, la retenue, la distance, l’ironie. Philippe Francq encore : « Et tout ce qu’on a pu lire, il y a un an, quand on a révélé qu’il allait incarner Largo ! C’étaient des critiques injustifiées parce qu’après dix minutes de film, j’avais déjà oublié mon personnage, et c’est bien la preuve que Tomer Sisley est habité par le personnage de Largo. Il y a chez Tomer cette manière d’être : il bouge de manière féline comme Largo, il est très rapide dans les scènes d’action, il a cette insolence, ce côté rebelle, il a une élégance, la stature du personnage (…) ».

Les seconds rôles sont à leur meilleur niveau. Je recommande particulièrement les échanges entre Kaplan-Melki et Largo-Tomer, d’un pince sans rire savoureux. Mention spéciale pour Nicolas Vaude en majordome proprement hilarant. On en viendrait à regretter qu’il n’intervienne pas plus souvent, en commentateur distancié de l’intrigue.

Avec les ingrédients de départ liés à l’univers de la série, tout y est ou presque. Action, humour, suspense, musique, paysages urbains, envolées lyriques, scènes de combats comme scènes de haute finance. Il n’est pas obligatoire de connaître la bédé pour voir et apprécier Largo Winch le film. Et avouez que c’est un comble pour une adaptation et le signe par excellence de sa réussite. Divertissement de qualité, le film s’affranchit non seulement du modèle, mais aussi et surtout, il ne fait aucun complexe d’infériorité en allant jouer et rivaliser sur les terrains des franchises made in US habituées du genre. Le rythme est soutenu, servi par un scénario sans faille ou presque, et portant en lui des réflexions sur l’intimité, sur la quête des origines, sur les blessures personnelles… Plus encore, le film joue sur la question de la filiation. Celle du personnage bien sûr, mais aussi celle du film lui-même par rapport à la bédé qui lui permet d’exister. Largo Winch est un vrai film de genre, tour à tour léger et grave, qui ne verse pas dans le pathos ou la romance bon marché, ni dans l’action hero movie outrancier. Ce qu’il faut saluer encore. Un film façon La Mémoire dans la peau, un film bien fait. Comme je le disais à la sortie de la projection : « on dirait un bon Bond. Acidulé. »

DB
Largo Winch, le film, sortie en salles le 17 décembre. De Jérôme Salle, avec Tomer Sisley, Kristin Scott-Thomas, Gilbert Melki, Miki Manojlovic, Mélanie Thierry, Nicolas Vaude…
PS : Convaincus par la qualité d’adaptation, les éditions Dupuis, Jean Van Hamme et Philippe Francq ont d’ores et déjà cédé une option pour une suite. Le réalisateur Jérôme Salle et son scénariste Julien Rappeneau travaillent déjà à l’écriture du scénario. Avec Tomer Sisley, toujours.