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Billet de blog 18 janvier 2009

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Le Roi des Mouches, l’Origine du Monde

Hallorave (Albin Michel, 2006), premier album de la série Le Roi des Mouches, avait révélé au public l’Amérique putative et cauchemardesque des suburbs de Mezzo et Pirus. Retour sur L’Origine du Monde, second album de cette série, sorti en septembre 2008 qui fait partie de la sélection du Prix BD des lecteurs de Libé 2009.

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Hallorave (Albin Michel, 2006), premier album de la série Le Roi des Mouches, avait révélé au public l’Amérique putative et cauchemardesque des suburbs de Mezzo et Pirus. Retour sur L’Origine du Monde, second album de cette série, sorti en septembre 2008 qui fait partie de la sélection du Prix BD des lecteurs de Libé 2009.

« Je venais de franchir les portes du Paradis et il faisait partie d’un monde qui n’était plus le mien ».

L’Origine du Monde est noir, cynique, déjanté et glauque. Graphiquement proche de Charles Burns, avec son dessin en ombres chinoises, tout en trait appuyé, forcé parfois, dans les scènes de nuits intérieures, comme dans les «extérieurs jours». Mais c’est aussi une explosion de couleurs. Psychédéliques, inventives, car si le noir (la noirceur) prédomine, les flashes roses, verts, mauves, perturbent la vision, mettent à mal le réalisme, distillant une sensation d’angoisse et faisant exploser l’impression de mal-être des personnages. La couverture énigmatique au jaune verdâtre est déjà un avant-goût de ce malaise. Un arrière-goût, à la réflexion.

Monologue polyphonique, Le Roi des Mouches est une bédé chorale. Un narrateur entêtant, singulier, déverse ses pensées sous acide à la première personne, mais est-ce toujours le même ? Eric, Karine, Ringo et Marie, Paul et David parlent. Pensent. Interpellent. Un fantôme passe. Le silence se fait. Les morts parlent aux vivants, les vivants – déjà morts, semble-t-il – parlent à des fantômes. Comme des spectres.

L’écriture dépasse souvent le lecteur. Profondes, désabusées, nihilistes, les pensées des personnages s’expriment et s’impriment comme des messages subliminaux dont notre cerveau ne peut se défaire. L’obsession est omniprésente. Comme le désespoir. Il ne semble rien sortir de bon dans la vie des protagonistes de L’Origine du Monde. Les fils sont en rébellion, les mères en dépression, les pères adultères et les filles... mères. Aucun d'entre eux ne sera jamais heureux.

L’Origine du Monde de Mezzo et Pirus est un tableau. Le tableau d’une vie, d’une époque, d’un monde qui tourne en boucle. Et qui tourne mal. Sans but et sans morale. Le sexe, l’alcool, les drogues, la violence des sentiments et des actions, rien ne semble pouvoir remplir le vide absolu des vies sans joie de chacun.

On pense à Ghost World, de Terry Zwigoff – tiré du roman graphique éponyme de Daniel Clowes, dont l’univers graphique et littéraire est extrêmement proche de Mezzo et Pirus –, avec cette métaphore de la jeunesse perdue, désœuvrée, en proie à une quête existentialiste non aboutie, et à une peur du futur (et du no future) indicible.

Le Roi des Mouches est une œuvre introspective, l’ombre d’une certaine Amérique planante et azimutée baigne ces characters aux âmes perdues, eux-mêmes nimbés du fantastique troublant de Mezzo et Pirus.

DB

Le Roi des Mouches, L’Origine du Monde , Mezzo et Pirus, couleur par Ruby, Glénat, collection Drugstore, 09/2008, 18,05 €