D’abord, le silence. Puis viennent les chiens.
Ari et Boaz sont amis depuis trente ans. Ari est cinéaste. Boaz est habité par son passé. Par le Liban. Par Beyrouth Ouest. Par Sabra et Chatila. Quand en 2006, Boaz appelle Ari pour le voir et lui raconter ce même rêve qui le hante, ce cauchemar où une meute de chiens le poursuit, Ari ne comprend pas pourquoi son ami l’a appelé, lui, et pas un docteur. Au contraire, Ari semble ne pas se souvenir. « Non, à vrai dire, ça ne fait pas partie de mon système », lui répond-il. Ari a oublié le Liban. Beyrouth Ouest. Sabra et Chatila.

L’adaptation en bande dessinée de Valse avec Bachir (Arte éditions-Casterman) est sortie le 15 janvier dernier, directement issue des dessins préparatoires du film. Elle a été supervisée par Ari Folman, metteur en scène (avec David Polonsky, son directeur artistique). D’un point de vue graphique, Valse avec Bachir est non seulement une prouesse technique – 2300 dessins ont été réalisés pour les besoins du film –, mais l’adaptation conserve cette unité chromatique à l’esthétique poignante. Les dessins sont réalistes dans les scènes de dialogues où le personnage d’Ari rencontre ses anciens compagnons d’arme, en quête de leurs souvenirs pour faire remonter les siens à la surface d’un esprit qui les a inconsciemment occultés. Ils se font plus allusifs, en ombres chinoises souvent, dans les flash-back, quand Ari libère sa mémoire du carcan qu’il s’est construit. L’album entier adopte même un découpage, un montage presque « image par image », comme si l’on visionnait le film au ralenti, avançant d’un pas presque mécanique.

Valse avec Bachir trouve son origine dans l’histoire personnelle d’Ari Folman, l’histoire qu’il a mise en scène pour le film et dans l’album est une quête. Sa quête peut-être, au-delà de celle du personnage qui cherche à recoller les morceaux de sa mémoire fissurée. L’utilisation du dessin pouvait induire une distanciation par rapport au propos et au contenu sensible, à l’évocation des massacres de Sabra et Chatila, mais Valse avec Bachir évite l’esthétisation, ce parti pris du beau pour mieux éluder certaines questions. Roman graphique dans sa construction, l’album adopte le point de vue du personnage principal, on suit sa voix off, on suit la reconquête, la reconstruction.
Loin de nous éloigner, l’absence de souvenirs de ce soldat israélien renvoie le lecteur dos à dos avec l’histoire. Les 16 et 17 septembre 1982 ont été suivis de nombreuses vérités et contre-vérités sur le massacre de Sabra et Chatila, sur l’identité de ceux qui les ont perpétrés, sur la posture de l’armée israélienne lors de l’intervention militaire au Liban : partie prenante ou spectateur, témoin ou acteur ? Est évoquée aussi la nature des souvenirs, ceux que l’on acquiert et ceux que l’on construit, consciemment ou inconsciemment. Pour se protéger, pour se défendre. Pour se construire. Car de dialogues en faits d’armes, de bribes éparses en détails précis, tous ont en partage des zones d’ombres dans leur esprit. Résultantes de mécanismes psychiques connus, ou associations d’idées, amalgames, arrangements avec la mémoire collective.

Ari avait oublié. Il va se souvenir. Et faire le chemin inverse. Pour revenir à ce jour précis, le jour du massacre.

Le Liban. Beyrouth Ouest. Sabra et Chatila. Les cris. Puis le silence.
DB
Documentaire d’animation, le film puise dans les souvenirs personnels du réalisateur, Ari Folman. Acclamé, mais non primé à Cannes en 2008, Valse avec Bachir a obtenu récemment le Golden Globe du meilleur film étranger 2009, est en compétition pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère qui sera décerné le 22 février prochain. Le DVD sort en France le 4 mars.
Images © Ari Folman / Arte France - ITVS International - Casterman