Iznogoud Président ? Il était annoncé urbi et presque orbi par avance dans des termes dithyrambiques, il vient de paraître aux éditions IMAV. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ce premier tome des Nouvelles aventures d’Iznogoud d’après Goscinny et Tabary conforte à jamais dans l’idée que le mieux est l’ennemi du bien.

Iznogoud Président est l’antithèse parfaite d’une reprise réussie. Pourtant prometteur, le projet avait de quoi séduire : un casting alléchant avec Nicolas Canteloup (humoriste et imitateur radiophonique) et Laurent Vassilian (co-auteur des sketches de l’imitateur, et ci-devant des Guignols de l’Info) au scénario et Nicolas Tabary au dessin (le fils reprenant de main de maître l’héritage graphique) ; un personnage emblématique de la bande dessinée dont les aventures ont bercé des générations de lecteurs et fait entrer dans la culture populaire cette phrase éternelle : «je veux être calife à la place du calife» ; un univers propice à toutes les cocasseries possibles et (in)imaginables (la Bagdad des Mille et une nuits) et un thème (de campagne) attractif à deux mois de l’élection présidentielle… et qui ne livre que des roucasseries improbables. Si le personnage d’Iznogoud est réputé pour être calculateur, l’équation du rire est difficile à résoudre dans cette opération. Nicolas Canteloup est un très bon imitateur des people et des politiques dont il reproduit les voix depuis quelques années maintenant. Malheureusement, Iznogoud Président n’est pas disponible en version audio.
Car sur le papier, c’est une autre histoire.
La marque de fabrique des aventures d’Iznogoud (outre l’éternel pitch selon lequel le vizir veut devenir calife etc. etc.) c’est d’abord une aisance de la langue et une profusion de bons mots souvent savoureux. Ce sont ensuite des aventures à l’humour potache (Goscinny confessait que la création d’Iznogoud lui avait permis de s’abandonner à son péché mignon : trouver les calembours les plus atroces) qui voient le Vizir échouer systématiquement dans ses tentatives de putsch pour rire. Le tout moquant gentiment les contes des Mille et une nuits, les travers humains, la société actuelle… Un véritable divertissement familial au sens noble du terme.
Dire qu’Iznogoud Président n’est en rien comparable avec les albums précédents tient de l’euphémisme : une surabondance de jeux de mots plus poussifs les uns que les autres (à tel point que l’on pourrait renommer le calife Haroun El Poussah sans frémir) ; des cases plus chargées qu’un caddy de supermarché la veille de Noël ; un comique de répétition plus répétitif que comique (Canteloup et Vassilian assaisonnent le pal à toutes les sauces) ; des références à la modernité ambiante au pire pathétiques et au mieux pas drôles auxquels on ne réagira qu'ainsi (ne rayez pas la mention, c’est inutile) : avec un sourire navré, avec un sourire navré, en passant à autre chose.
De page en page, las, les bons mots tournent au kakemphaton. Si quelques pépites affleurent ça et là, comme dans cette bonne ville de Tabbah* dans laquelle se rend Iznogoud parce qu’elle est prodigue en exécuteurs des hautes œuvres : « certains accros à la guillotine font des kilomètres pour trouver un bourreau de Tabbah »… la somme des artifices proposés dans cette « pitrerie » (citation en toute fin du livre, NDLR) ressemble davantage au recyclage des moins bonnes feuilles de l’Almanach Vermot qu’à un scénario de bande dessinée. Car non contents d’épuiser le filon tabacologique avec un certain penchant pour l’allégation raciste (« la plupart des bourreaux de Tabbah sont gérés par des Chinois aujourd’hui, ils ont des méthodes étranges », « c’est d’un vrai bourreau dont nous avions besoin, pas d’une contrefaçon chinoise »), ils déclinent les polysémies (« souvent les passages à Tabbah se finissent en bain de sang » ou « faites lui un Tabbah ») jusqu’à la lie et ad nauseam. Puisque nous sommes dans la célébration de l’homophonie la plus débridée (sans jeu de mot), je tiens à dire aux auteurs que l’abus de Tabbah est dangereux pour la santé.
*Aparté : les puristes connaisseurs de l’ère Goscinny se souviendront que le « bar Tabah » fut le père de la « sirène Dalaerte » après avoir frayé avec Ohmane la nymphe (dans « Le chant qui fige », album La Tête de Turc d’Iznogoud - Dargaud, 1992).
Mieux encore, dans ce florilège, on trouvera de quoi se régaler d’humour bien passé de mode et touchant au grotesque (le mauvais, celui qui faisait faire « gruik-gruik » à des marionnettes sur TF1) : « toi aussi, Sultan, tu devrais consulter pour ne pas devenir un con sultan » (sic) ; « une vizirette (on propose à Iznogoud de prendre femme à des fins politiques, NDLR) c’est pratique pour nettoyer votre linge » (re-sic).
Que dire enfin de l’esprit et du ton qu’affectent les auteurs quand ils font débouler à Bagdad des éléments de modernité qui auraient pu se contenter d’être simplement et finement anachroniques ? L’introduction des réseaux sociaux dans la ville de Bagdad sous la forme de chèvres mâles parlantes affublées d’un Fez et de femelles porcines ont eu raison de ma lecture.
C’est dommage et dommageable. Nicolas Canteloup et Laurent Vassilian peuvent se vanter d’une chose : à trop vouloir ressembler à René Goscinny, ils ont inventé la toute première imitation en BD. En basse définition.
DB

Agrandissement : Illustration 4

- Iznogoud Président. Scénario de Nicolas Canteloup et Laurent Vassilian, dessins de Nicolas Tabary, Imav éditions. 48 pages couleurs. 11€