Il était une fois un cow-boy solitaire, loin, loin de son foyer. Né en 1946 du talent de Morris, Lucky Luke a traversé l’ouest et le temps au fil (qui chante) de 72 albums, dont 36 écrits et dessinés par Morris et Goscinny. Le décès du scénariste en 1977 avait conduit le dessinateur à confier l’écriture des histoires et des dialogues à plusieurs auteurs. En 2001, Morris laisse son héros orphelin. Achdé et Laurent Gerra rallument la flamme. Au dessin, Achdé est un digne repreneur de son modèle. Au scénario, le célèbre imitateur montre toute sa passion pour les textes et l’esprit de Goscinny.
Après La Belle Province en 2004 et La Corde au cou en 2006, Lucky Luke revient le 5 décembre pour une nouvelle aventure de Lucky Luke d’après Morris avec L’Homme de Washington. Lucky Luke en politique ? On aura tout vu. EN 1877, au sortir des deux mandats successifs d’Ulysses Grant, les sénateurs s’inquiètent. Un républicain franc-tireur texan porté sur les lobbies, la corruption, le pétrole et les armes s’est autoproclamé candidat à l’élection présidentielle. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne serait que pure coïncidence ?
L’Homme de Washington renoue avec les ingrédients qui ont fait des aventures de Lucky Luke une recette éprouvée. Tout démarre par un soupçon de réalité pour prétexte narratif pour ensuite mener le héros dans des situations où l’humour et la reprise des codes chers au genre règnent en maîtres. Les codes du western bien sûr, mais également les gimmicks propres à la série. L’Homme de Washington les passe tous en revue : les monologues anachroniques de Jolly Jumper, les clins d’œil d’usages, les caricatures de personnalités réelles ou du Far-West sur pellicule, les caméos de personnages des albums précédents, l'immanquable traître démasqué en toute fin d’aventure, les personnages secondaires savoureux voire décalés…
Tout commence donc avec la campagne pour les élections américaines qui approchent. Lucky Luke doit escorter le candidat Rutherford B. Hayes, et le défendre contre l’inévitable complot ourdi contre lui par un obscur texan. Obscur ? Pas tant que cela à la réflexion, il est aisément reconnaissable. Direction l’ouest sauvage, de Colombus à Austin, en passant par Hermann et Memphis.
Ce road-movie a toutefois un air de déjà-lu. Dans Sarah Bernhardt, dans Le Fil qui chante, dans Le Grand Duc… pour la traversée des USA et quelques ressorts scénaristiques. Laurent Gerra s’applique - et il y arrive plutôt bien - à faire souffler l’esprit de René Goscinny. Jeux de mots en pagaille, références livresques ou historiques, allusions perfides au monde actuel, rien ne manque. On trouvera l’emprise de la réalité heureuse à quelques semaines de l’élection de Barack Obama, on appréciera les vignettes façon happy end qui concluent cette aventure, jusqu’aux ombres du cavalier et de sa monture qui s’éloignent dans le soleil couchant.
Avec quelques regrets toutefois : dans La Belle Province, la profusion était telle qu’elle desservait la reprise, travail difficile s’il en est. La Corde au cou avait fait vœu de simplicité, L'Homme de Washington marche dans les bottes du tandem légendaire, mais n’arrive pour autant pas à se démarquer. C’est là une des faiblesses du travail d’Achdé et Gerra. A trop vouloir bien faire ou « faire comme », ils perdent au passage le lecteur exigeant qui a grandi avec le héros made by Morris et Goscinny.
Reste un album de qualité, le dessin d’Achdé est irréprochable, la case où Jolly Jumper danse un boogie-woogie semble tout droit sortie des pages du Western Circus de Morris. Laurent Gerra est parfait dans l’exercice de l'hommage, on perçoit sa connaissance et son amour de l’homme qui tire plus que son ombre écrit par Goscinny.
C’est un plaisir de retrouver Lucky Luke dans L’Homme de Washington, mais « toute ressemblance avec des personnes… » n’est pas une coïncidence…
DB
L’Homme de Washington, Les aventures de Lucky Luke d’après Morris par Achdé et Laurent Gerra, Lucky Comics, parution le 5 décembre 2008 - 9,25 €
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