Un nouveau cycle s’ouvre pour Dodji, Yvan, Terry, Leïla et Camille. Presque une nouvelle ère. Le final du tome 5 avait apporté son lot de réponses aux nombreuses questions que se posaient les protagonistes de cette histoire aux frontières du fantastique, du policier et de l’aventure jeunesse. Dont la principale depuis le premier opus : «que leur est-il arrivé ?» Interrogé sur le côté «lostien» du final du tome précédent, Fabien Vehlmann répond : « Le gag, c’est que j’ai arrêté de regarder Lost en milieu de deuxième saison (un peu lassé par les rebondissements à répétition), mais qu’en lisant des forum sur Internet, en particulier au moment de la fin de la série TV, j’ai constaté que les points communs étaient légion… La grande différence, à mes yeux, est que nous continuons là où Lost semble s’arrêter : sur cette question de «l’au-delà». Et d’autre part, nous ne fermons pas la porte à une explication « cartésienne » de ce qui arrive à ces enfants…»

Les héros de Seuls savent désormais quel a été leur destin. En revanche, ils ignorent encore beaucoup de choses : les circonstances exactes et la cause de leur « disparition », pourquoi ils ne souviennent de rien. Des interrogations subsistent, préservant le suspens : pourquoi ? Comment ? Peuvent-ils encore échapper à leur sort qui semble bel et bien scellé ? Et la série repart de plus belle après le final de la première saison (les albums 1 à 5).
«La transition du tome 5 au 6 n’était pas simple… Nous savions que certains lecteurs adultes seraient assez critiques vis à vis de notre fin de premier cycle, la jugeant peut-être trop «cliché» ou tout au moins classique pour les amateurs de SF ou de fantastique… Mais nous savions aussi, Bruno et moi, que le véritable intérêt de la série était précisément de continuer le récit après ce twist : c’est maintenant que la série prend toute sa saveur, et un tour plus transgressif encore.»
Estampillée bande dessinée jeunesse, Seuls possède la particularité de fédérer un lectorat d’adultes et d’enfants grâce à des qualités narratives et graphiques certaines. La série aborde de front des thèmes que l’on croise peu dans des BD franco-belges «tous publics» : la mort, la violence, l’exercice du pouvoir, le fascisme même… Un exercice voulu et souligné par des auteurs nourris de références littéraires et cinématographiques, comme ils l’avaient exprimé lors de la sortie du tome 4. Ce qu’ils réaffirment aujourd’hui : «C’est vrai que certains sujets sont moins abordés dans la presse dite «pour enfant» (et c’est encore plus vrai à la télé…), mais ils sont fréquents dans de nombreux livres : la série Jules, d’Emile Bravo, ou les grands classiques que sont Peter Pan, Alice au Pays des Merveilles, ou Pinocchio abordent chacun à leur manière la plupart des tabous. Nous aimerions nous inscrire dans cette tradition littéraire, en ne nous interdisant aucun sujet.»

Le tome 6 est donc plus noir, violent même, abordant sans fard les thèmes de la mort, des limbes, des religions. La bande dessinée semble avoir franchi une étape, passant du statut de BD jeunesse à celui de BD adolescente. Fabien Vehlmann se défend contre cette interprétation : «pour nous, la série a toujours balancé entre ces deux pôles (le divertissement plus «enfantin» et des thèmes plus durs, plus «adultes»), et c’est précisément pour ça que les enfants aiment la série : ils sentent qu’on leur parle sans bêtifier. A certains égards, ce tome 6 s’installe juste plus évidemment dans ces thématiques adultes. Et le fait que ces enfants se considèrent désormais comme «immortels» amène à des scènes plus transgressives, mais donc plus intéressantes aux yeux des enfants. Notre vraie surprise a été de constater, par contre, que les ados et les adultes aimaient aussi la série !»
Au dessin, Bruno Gazzotti maîtrise ses personnages et il est toujours aussi à son aise quand il s’agit de dessiner décors urbains, machines et véhicules. Ou quand il s’agit de souligner la tension dramatique avec des plans et un montage nerveux, tout en conservant un graphisme classique. Cette alliance fait de Seuls une bande dessinée de qualité, qui balance entre noirceur, fantastique et divertissement pur. Et les fidèles de la série ne sont pas au bout de leurs surprises… Gazzotti et Vehlmann n’ont pas répondu à toutes les questions : «une menace terrifiante semble encore peser sur eux… Qui plus est, pourquoi aucun adulte ne semble résider dans cet au-delà avec les enfants ?…» - D.B.
Agrandissement : Illustration 3
Seuls, tome 6, La Quatrième dimension et demie, Gazzotti & Vehlmann, 48 pages couleur, Dupuis, 10€45
Les trois premières planches de l'album sont à découvrir ici.
Prolonger :
Chronique du tome 3, Le Clan du Requin.
Interview des auteurs et chronique du tome 4, Les Cairns rouges.