En partenariat avec Mediapart, Fadila Mehal et les Marianne de la diversité organisent ce jeudi 23 mai, à Paris, une rencontre débat animée par Edwy Plenel, avec Fatima Besnaci-Lancou et Benjamin Stora. La rencontre réunira autour du thème de la mémoire les écrivaines Brigitte Benkemoun, Anne Châtel-Demenge, Florence Dosse, Karima Berger et Christine Ray.
Lors de la célébration de l’année de l’Algérie, en 2003, une étude montrait qu’un Français sur six était concerné de près ou de loin par l’Algérie. Les raisons en étaient multiples: descendants de pieds-noirs, appelés du contingent, enfants de « harkis » ou des immigrations. De toute évidence, l’Algérie aimante le regard franco-français, comme si cette relation forte (qui a commencé dans la violence en 1830), charnelle à bien des égards, restait pour beaucoup, et notamment pour les hommes qui ont vécu la guerre d’Algérie, un impensé de l’histoire de France.
Comme si la France républicaine et son universalisme émancipateur avait du mal à assumer les contradictions insolubles de la colonisation fondée sur une discrimination systémique et qui prit les millions de Français musulmans d’Algérie, et un million de pied-noirs, en otage. Cette incapacité à raconter l’inacceptable, alors que même les faits étaient connus de part et d’autre, témoigne de cette cécité et de cette amnésie érigées comme un rempart pour verrouiller cette mémoire trop vive.
Le travail de deuil n’a pu se faire, du fait du refoulement, comme l’écrivaient Henry Rousso et Eric Conan, de ce « passé qui ne passe pas »… au sujet de Vichy. L’évitement du débat sur l’Algérie coloniale est du même ordre, sous prétexte qu’il empêche la « fierté d’être Français » en mettant sous le boisseau les pages sombres de notre histoire, enfoui sous une chape de plomb.
Cette impossibilité à raconter cette histoire de France, comme si la Fracture coloniale était éternelle, a engendré souffrance, amertume et ressentiment, qui rejaillissent aujourd’hui sur les relations franco-algériennes. Et cette incapacité à transmettre l’inaudible (la torture, la conquête, l’occupation, la guerre, les attentats et la violence) et du coup à les regarder en face et à les dépasser, reste un point aveugle de notre inconscient collectif. Comme si les images de propagande et les images de guerre avaient pour l’éternité rendue aveugle la conscience des hommes. Il faut décoloniser ces regards, et entreprendre ensemble le chemin de la mémoire qui est le fruit d’une histoire qui malgré tout est désormais commune.
Aujourd’hui, 50 ans après la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, le miroir algérien de la France est confronté au vacillement des frontières entre mémoires et histoire. Le retour de la mémoire n’est pas simplement lié au fait médiatique, il participe du désir, pour beaucoup d’enfants de l’immigration algérienne, de se réapproprier un récit national qui ne soit pas expurgé de l’histoire algérienne, le combat autour de la mémoire du 17 octobre 1961, du 8 mai 1945 ou du 14 juillet 1953 en sont des exemples éclairants. Aussi, quand l’avenir se ferme et que la crise rétrécit l’horizon, alors le risque est grand de voir cette mémoire refuge comme un enfermement dans un passé, où se rejouent en permanence les conflits d’autrefois. Ce que certains désignent comme les « pièges de la mémoire coloniale » nous guettent alors.
Mais la mémoire peut aussi se révéler comme une source de dépassement et de connaissance. C’est ce que nous enseignent les écrivaines Brigitte Benkemoun (La Petite fille sur la photo, Fayard), Anne Châtel-Demenge (Comment j’ai tué le consul, L'Aube), Florence Dosse (Les Héritiers du silence, Stock), Fatima Besnaci-Lancou (Nos Mères, paroles blessées, Zellige), Karima Berger et Christine Ray (Toi, ma sœur étrangère, éditions du Rocher).
Ces femmes au regard singulier et à la mémoire prodigieuse, loin de l’amnésie ou de la mémoire enfiévrée, nous disent avec leurs mots comment retrouver les chemins de la connaissance et de la compréhension de l’Autre, de sa mémoire si proche et si lointaine. Elles disent aussi que le nécessaire travail de mémoire n’est jamais clos (toujours irrigué du travail d’écriture des historiens) et que l’histoire franco-algérienne ouvre les perspectives d’un dialogue renouvelé.
Leur travail mémoriel nous aidera à sortir du dilemme entre le trop-plein et l’absence de mémoire. C’est ce à quoi vous invitent les Marianne de la diversité en permettant que ces mémoires plurielles dialoguent enfin, sans hiérarchie, ni hégémonie, dans un tête-à-tête murmuré, autour d’un débat apaisé et fécond. Cette rencontre inédite et historique à bien des égards porte en elle, nous en sommes persuadés, les germes d’un avenir commun entre les deux rives de la Méditerranée.
Fadila Mehal, fondatrice et présidente des Marianne de la diversité
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Infos pratiques
Rendez-vous jeudi 23 mai à 19h00, à l'Espace des femmes Antoinette-Fouque, 35 rue Jacob, 75006 Paris.
Inscription obligatoire sur les Marianne de la diversité