Billet de blog 11 mars 2010

Olivier Abel

Abonné·e de Mediapart

Les religions du doute

Olivier Abel

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Chaque jour on entend à la radio, à la télévision, on lit dans la presse des inquiétudes sur les menaces du fanatisme religieux. Et bien souvent il y a de quoi être agacé par les molles protestations des institutions religieuses qui sont toujours sur la défensive, et se posent trop souvent en victimes d'usurpateurs – je parle ici de tous ceux qui lèvent les étendards de la religion pour couvrir leurs contrebandes en tous genres. A l'inverse, il est non moins exact que le plus grand fanatisme a été atteint par les nationalismes, les fascismes et les organisations totalitaires parfaitement athées, qui ont prétendu fabriquer à zéro un homme nouveau.

Mais il serait plus utile pour chacun de balayer devant sa porte, et d'étudier sans l'éluder le cœur violent de tous nos sacrés, de montrer comment les religions font pour le ritualiser ou le déjouer. En quoi la religion a-t-elle à voir avec la violence humaine la plus profonde, la plus constante, la plus irrépréssible?

Je voudrais ici cependant prendre un tout autre chemin, examiner une toute autre hypothèse. Et si les religions étaient de prodigieuses machines à installer des doutes durables, à multiplier des occasions de douter, du monde, de la vie, de nous-mêmes, de nos systèmes politiques ? Et si les religions étaient des machines à intriguer, à installer des perplexités ? Et si les religions avaient pour fonction, contrairement à ce que nous croyons facilement, d'augmenter la dose d'incertitude et de doute supportable collectivement ? Non le doute savant, mais le doute ordinaire, « le doute du charbonnier ».

Qui en effet davantage que les croyants des religions ont cette expérience du doute ordinaire, cette accoutumance au doute, cette acceptation de voir leur foi accompagnée d'un doute en quelque sorte intériorisé, devenu une constante, une dimension de la vie ordinaire. Ceux qui ont rejeté toute croyance comme des contes puérils ont souvent en même temps rejeté cet exercice du doute. Et d'ailleurs, les études de théologie son aujourd'hui des bastions de l'esprit critique, bien éloignés de cette crédulité à n'importe quelle fausse synthèse scientifique ou historique qui s'étale dans les magazines et les best-sellers d'une opinion toujours prête à croire.

L'hypothèse que je formule, des religions comme machines à intriguer et installer du doute, ne me semble pas moins plausible, archéologiquement et historiquement, que l'idée inverse, qui voit dans nos religions des systèmes de certitude. Dans cette hypothèse, les guerres de religion, comme bien d'autres formes de violence, se déclencheraient quand les religions dépasseraient la dose de doute collectivement supportable, pour revenir à des certitudes plus établies, plus solides. Les guerres de religion seraient toujours d'abord des guerres d'anti-religion, à un moment où le sentiment religieux se fait trop fort.

Je lance cette idée, moins pour justifier les religions, qui sont souvent bien injustifiables, que pour glisser un doute dans la bonne conscience effrayante de nos opinions publiques. Le paradoxe est que nous ne voyons pas comment les religions, loin de liquider la violence, ont sans cesse dû inventer des procédés pour l'entraver, la différer, empêche les protagonistes d'y mettre « toutes leurs forces ». C'est bien le sens du mot « religio », ce qui retient la force. C'est bien ce qui nous manque.

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