Dédé n'est jamais à court d'idées pour faire venir du populo dans son troquet. Il avait annoncé à grand renfort d'affiches dans le quartier que Martine Aubry, François Fillon, Marine Le Pen, Marie-Georges Buffet et Daniel Cohn-Bendit débattraient du second tour ce jeudi 18 mars à 20 h avec les habitants. Où ça ? Dans son fameux boui-boui bien sûr. Une centaine de pigeons en mal de sensations se sont donc pressés hier soir autour du zinc, des tables et de tout ce qui se boit pour tâter du candidat ou en découdre. Et une autre bonne centaine pour se foutre de la gueule des cent premiers.
Quand les cinq débatteurs sont entrés dans la salle et que l'on a découvert leur véritable identité, ça a failli virer à l'émeute. Mais une fois passée la bordée d'injures et autres quolibets, chacun s'est dit qu'après tout, puisqu'il était là, autant rester. Mauricette Duparque avait choisi de se lancer à 70 piges dans la comédie sociale en se substituant à Martine Aubry. Son inimitable cheveu sur la langue a vite fait oublier la first lady de la rue de Solférino, d'autant que sur le soutien-dénonciation-exclusion-réconciliation (dans l'ordre qui vous convient) de et avec Georges Frêche, elle a été aussi claire et convaincante que la patronne du PS.
Le Portugais du sixième escalier B, aidé par une vague ressemblance physique, s'en est mieux sorti dans le costume de Premier ministre. Malgré les « Fillon-pue-du-fion » lancés par le public à chacune de ses interventions, il a pu laisser croire, comme le désopilant humoriste de Matignon, que derrière la platitude des mots alignés avec force conviction pouvait se cacher autre chose que du vent dont se nourrissent les tempêtes dans un verre d'eau. Il a aussi su distiller avec sagesse les annonces péremptoires et enflammées de naissances, mariages, divorces et décès du commissariat de la cité, ainsi que les inévitables rumeurs de fornications extraconjugales diverses et épicées qui n'ont pas manqué de susciter l'hilarité d'une assistance ravie que son propos s'aventure enfin sous la ceinture.
Lulu-feu-au-cul a cru bon de se pointer avec une jupette à ras la salle de jeu et les bas distingués qui vont avec pour aboyer à des mâles au slip écarlate les dernières turpitudes de la fille Le Pen sur l'immigration, les musulmans et les castes de privilégiés. Je ne sais pas si c'est la reprise de l'outrance verbale de l'original ou l'outrance physique de la copie qui a le plus mis les spectateurs en transe. Le problème avec l'outrance c'est qu'elle trouve toujours preneur chez les simples d'esprit. Ou de corps.
La mère de Bachir a fait aussi sensation dans le rôle de Buffet. Convaincante sur le fond mais surtout par la manière. Notamment lorsqu'elle m'a découvert au fond de la salle en train de rouler goulûment un patin à sa fille Leïla. L'avoinée qui a suivi m'a renvoyé sans ménagement aux combats valeureux que la gent féminine de l'avant-garde prolétarienne a su mener avec pudeur et abstinence toute marxiste pour assurer une libération certes inachevée mais ô combien réelle de générations de femmes appelées à tempérer au garde-à-vous des ardeurs masculines désespérément sans nuances.
Quant à l'idée de grimer le gros Maurice en Cohn-Bendit, elle méritait à elle seule un procès pour outrage. Son visage poupon n'est pourtant pas sans rappeler celui jovial du leader écologiste. Après avoir envoyé chier sur tous les modes du « toi mon pote tu seras jamais président » tous ceux qui le titillaient sur les rapports ambigus qu'il entretient depuis des années avec son semi-remorque, le gros Maurice a éclipsé un Dany dont seul le costume d'amuseur public pouvait encore trouver preneur après le passage au gas-oil de notre pollueur local.
Bilan de la soirée : Dédé se frotte les mains et attend les prochaines élections avec impatience. Tous les spectateurs, à jeun ou bourrés, ont décidé de persévérer dans le grand guignol en allant voter dimanche, masques des principaux candidats et nez rouge sur le pif pour faire encore plus vrai. Mais bon, s'ils vont voter et qu'ils se fendent la poire ce sera déjà ça. Dédé aura droit à sa statue de bienfaiteur de la démocratie.
Finalement, le plus dur sera de se farcir les tronches compassées des vrais vaincus et radieuses des vrais vainqueurs dimanche soir à la télé. Les discours interchangeables, lénifiants ou offusqués. Narquois ou mauvais perdants. Mais toujours suffisants. Les appels aux « Français » et aux « Françaises » qui filent invariablement la gerbe. Les énièmes diagnostics des experts des instituts de sondage qui sentent bon le dessous de bras et la certitude plaqué or. Les coups de griffes ou les complicités d'un soir. Les petites phrases données en récompense à des journalistes à court de journalisme. Bref, tout ce qui façonne notre exaltant paysage politique et érode, élection après élection, abstention après abstention, notre sympathique démocratie. Ou du moins ce qu'il en reste.